Critique : Le Masque arraché

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Le Masque arraché

Etats-Unis, 1952
Titre original : Sudden fear
Réalisateur : David Miller
Scénario : Leonore Coffee et Robert Smith, d’après l’histoire de Edna Sherry
Acteurs : Joan Crawford, Jack Palance, Gloria Grahame
Distribution : RKO Radio Films
Durée : 1h51
Genre : Thriller
Date de sortie : Janvier 1953

Note : 3/5

La troisième édition du Festival International du Film restauré « Toute la mémoire du monde », actuellement en cours à la Cinémathèque Française, permet d’élargir la mission de cette auguste institution du cinéma sous toutes ses formes. D’abord en termes de public, puisque les salles sont remplies en semaine d’élèves adolescents, qui s’y rendent plus par devoir que par passion, et puis, surtout, parce que pendant quatre jours, nous pouvons y découvrir des trésors cachés du Septième art, à condition de ne pas être réfractaire aux restaurations numériques. Présenté dans le cadre d’un hommage à la Collection Cohen, Le Masque arraché est l’une de ces perles rares, qui nous invitent à explorer dans les meilleures conditions techniques une époque révolue du cinéma hollywoodien. Le mélodrame et le suspense y font bon ménage, sur fond de croisement de trajectoire de deux vedettes démesurées : Joan Crawford et Jack Palance.

Synopsis : La richissime héritière Myra Hudson assiste à New York aux répétitions de la pièce de théâtre qu’elle vient d’écrire. L’acteur principal, Lester Blaine, lui déplaît tellement dans le rôle du séducteur qu’elle s’impose auprès du producteur et du réalisateur pour le faire virer. Quelques semaines plus tard, alors que la pièce a remporté un beau succès, Myra traverse les Etats-Unis en train pour rentrer chez elle, à San Francisco. A bord, elle aperçoit par hasard Lester, qui, au lieu de se montrer rancunier, finit par la séduire. Cette femme qui a tout cède facilement aux avances de l’acteur, qu’elle ne tarde pas à épouser. Ils pensent filer le parfait amour. Or, leur idylle est rapidement troublée par l’arrivée de Irene Neves, une jeune profiteuse qui a encore quelques comptes à régler avec le mari de Myra.

Une étoile s’incline dignement

Joan Crawford en voici, en voilà ! L’actrice est quasiment omniprésente dans l’un des derniers films, avant Johnny Guitar de Nicholas Ray, qu’elle portera avec succès sur ses seules épaules. Elle est de tous les plans, ou presque. Car le film de David Miller a pour vocation majeure de mettre en valeur une légende des années 1930 et ’40, qui y emprunte pour la première fois le chemin d’un genre, qui allait se montrer plutôt préjudiciable pour la dernière partie de sa carrière. La panoplie au grand complet des expressions terrifiées de Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? de Robert Aldrich, tourné dix ans plus tard, y est déjà présente, tout comme cette veulerie ambiguë dans la souffrance et la soumission. L’heure n’est pas encore à un féminisme ouvertement militant, même si le choc de la trahison se mue assez vite en l’élaboration d’un plan machiavélique en guise de vengeance. Le personnage traverse ainsi souverainement les revirements excessifs que le scénario veut lui faire subir. Et avec lui l’actrice, voire la déesse de l’écran, qui embrasse sans vergogne la grandiloquence de l’histoire et du rôle qu’elle y joue. Etre une vedette intouchable se manifeste aussi de cette manière-là, hélas pratiquement pour la dernière fois, puisque l’immense majorité des films suivants de Joan Crawford étaient des productions mercantiles sans grand intérêt.

Un thriller plus amusant que haletant

Autour de ce centre de gravité amplement extravagant tournent des éléments eux aussi démesurés. A ce sujet, nous ne pensons pas tellement aux grandes lignes du scénario, qui applique solidement une structure en trois actes, à savoir l’amour, la méprise, le châtiment. Et le suspense n’atteint pas non plus des niveaux hitchcockiens, bien que la séquence de l’emploi du temps imaginé prépare adroitement le spectateur à une version forcément moins fluide des faits. Non, ce sont plutôt quelques détails grand-guignolesques qui rendent la vision de ce thriller si divertissante. Citons seulement la course poursuite finale, d’une stupidité assez jouissive jusqu’à l’inclusion du chat qui risque de révéler la présence de Myra, ou bien les états d’âme inconsistants de cette dernière, au sommet de l’échelle mélodramatique. Au début des années ’50, le goût pour le second degré n’était pas encore entièrement assumé. Mais face à des épopées comme celle-ci, d’une exubérance folle comparé aux thrillers plus sombres et tendus de la même époque, comme Raccrochez c’est une erreur de Anatole Litvak, nous pouvons en discerner sans faille les premiers signes timides. Que les choses ne dégénèrent pas trop, nous le devons – en mal – à la mise en scène un peu trop sage et – en bien – à l’une des premières compositions d’Elmer Bernstein et au jeu complémentaire de Jack Palance par rapport au tour de force exagéré de Crawford. L’acteur allait d’ailleurs avoir le plus grand mal, par la suite, de se défaire du stéréotype du méchant violent.

Conclusion

Maintenir vivante la mémoire du cinéma, cela passe aussi par la découverte de films de genre d’une autre époque dans le cadre d’un festival dont la vocation est justement de ne pas les laisser tomber dans l’oubli matériel et mental. Mission accomplie avec ce thriller rendu exceptionnel par deux acteurs au sommet de leur art, qui comprend expressément la forme la plus pure et (peut-être involontairement) ironique du cabotinage.

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