Critique : L’Apollonide – souvenirs de la maison close

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l'apollonide 0L’Apollonide – souvenirs de la maison close

France, 2011
Titre original : –
Réalisateur : Bertrand Bonello
Scénario : Bertrand Bonello
Acteurs : Hafsia Herzi, Céline Sallette, Jasmine Trinca
Distribution : Haut et Court
Durée : 2h02
Genre : Drame
Date de sortie : 21 septembre 2011

Note : 5/5

Dans le cadre de la troisième édition du festival du cinéma d’Arte, L’Apollonide – souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello a été projeté au Luminor Hôtel de Ville le dimanche 25 novembre. Une belle occasion, quelques mois après Saint Laurent (lien vers la critique), de (re)voir le cinquième long-métrage d’un réalisateur qui, manifestement, s’impose dans le cinéma français. Après la projection, Bonello a pris le micro dans la salle pour un débat avec les spectateurs.

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Synopsis : Paris, 1899 : «crépuscule du XIXe siècle » et « aube du XXe siècle ». L’Apollonide est une maison close de luxe dont la tenancière, une ancienne prostituée jouée par Noémie Lvovsky, assure la notoriété. Elle veille à la satisfaction d’une clientèle exigeante, jusqu’au jour où l’une des « filles » – Madeleine, surnommée « la Juive » –, fait commerce avec un client sadique, qui lui taillade les joues. Désormais, elle est surnommée « la femme qui rit ». La vie dans la maison continue son cours…

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À rebours du film d’époque

L’Apollonide : c’est un nom bien solaire pour une maison close, comme pour le film en huis clos que compose Bonello. Ancré dans un temps regretté et amplement rêvé – la Belle Epoque – et confiné dans un lieu fantasmé mais rarement filmé – la maison close –, L’Apollonide est à rebours du film d’époque. Aux incontournables scènes de bal costumé sont substituées des scènes intimistes, où les filles défilent sans corset, dansent entre elles dans une ronde un peu tragique, ou bien fument de l’opium dans un salon qui devient un lieu de sociabilité pour dandys, poètes et nobles en tous genres. L’intérieur de la maison constitue à lui seul un microcosme qui concentre tout l’esprit de cette fin de siècle languissante. Une teinte fumée enrobe tout – les meubles baroques, les voluptueux velours, les bibelots japonais, les miroirs sulfureux – dans une atmosphère décadente qui rappelle, pour ses scènes intimistes éclairées à la seule lumière des bougies, le magistral Barry Lyndon de Stanley Kubrick.

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À la lisière du film d’horreur ?

Mais pour montrer l’envers de la vie parisienne de l’époque, Bonello n’en ose pas moins une certaine modernité (le nom « Apollonide » tiendrait-il un peu de celui de ce poète de la modernité qu’était Apollinaire, qui s’installe justement à Paris en 1900 ?). La musique qui accompagne la bande de filles fluctue entre classique et contemporain, allant de The Right to Love You de The Mighty Hannibal au concerto pour piano N.20 de Mozart. Toujours « planante » et « opiacée » comme le souligne Bonello lui-même – qui est musicien avant d’être cinéaste –, cette musique accentue tantôt la langueur, tantôt l’angoisse qui imprègne l’atmosphère. Les séquences, un peu en aparté, qui font entendre le monologue de Madeleine et qui montrent sa sanglante mutilation, confinent à l’horreur. Il y a aussi des scènes où passent, quasi fantomatiques, des jeunes femmes voilées de blanc, errant dans les dédales des escaliers et des colonnades du vaste immeuble parisien… ou encore ce fauve au pelage d’ébène, qui s’étend sur le canapé du salon comme planerait une menace. Autant de traces en somme de ce qu’était, à l’origine, le projet abandonné (mais sous-jacent) du réalisateur : celui d’un film d’horreur dans une maison close.

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Une déambulation poétique et fantasmatique

L’Apollonide, qui enferme les jeunes filles comme dans une prison, un labyrinthe, mais aussi un écrin, est donc le lieu par excellence de l’angoisse et du mystère. Ainsi que de l’expression des fantasmes. Certains ont reproché à Bonello son manque de sens du scénario. L’Apollonide n’est certes pas construit comme un film à suspens avec une intrigue bien ciselée. C’est plutôt une plongée dans une sorte d’intra univers à la sensualité exacerbée, d’une déambulation fantasmatique au cœur de l’étrange. La Juive, la Petite, l’Algérienne Samira, la Grande… merveilleusement interprétées par des actrices plus ou moins célèbres d’où se démarquent Alice Barnole, Adèle Haenel et Céline Sallette, les « filles » de l’Apollonide forment une ronde envoûtante.

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La forme de la ronde imprègne bien tout le film. Dans le salon, la caméra effectue des mouvements circulaires qui arrondissent la pièce, l’enclosent, et la rendent plus obsédante. Les filles y sont comme des fleurs d’intérieur, fascinantes mais maladives, bizarres et intoxiquées. Dans la maison, chaque chambre, chaque anfractuosité fascine parce qu’elle exprime un fantasme : un bain de champagne, une poupée vivante, une Japonaise, une ronde de miroir sur les parois d’une chambre diffractée à l’infini… Bonello, conscient de l’analogie qui s’esquisse entre la maison close et la salle de cinéma, en exprime pleinement le potentiel esthétique dans l’Apollonide, cette promenade sensuelle et mentale au sein de fantasmes cinématographiques.

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Résumé

C’est la projection de L’Inconnu du lac qui a suivi celle de L’Apollonide au festival d’Arte. Le film d’Alain Guiraudie, qui met en scène un univers exclusivement masculin et complètement tourné en extérieur, a d’autant mieux exacerbé le caractère visuellement confiné, poétique et raffiné du film de Bonello. L’Apollonide, quelques années avant Saint Laurent, était déjà la preuve d’un grand talent.

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