Critique : La Sirène du Mississipi

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La Sirène du Mississipi

France, 1969
Titre original : –
Réalisateur : François Truffaut
Scénario : François Truffaut, d’après le roman de William Irish
Acteurs : Jean-Paul Belmondo, Catherine Deneuve, Nelly Borgeaud, Michel Bouquet
Distribution : MK2 Diffusion
Durée : 2h03
Genre : Thriller romantique
Date de sortie : octobre 2014 (Reprise)

Note : 3/5

Dédicacé à Jean Renoir, ce film n’a pas grand-chose en commun avec l’œuvre du plus grand des humanistes parmi les cinéastes français. Nous chercherions davantage un catalogue de références bien plus probantes du côté de deux autres réalisateurs associés de près ou de loin à François Truffaut : Alfred Hitchcock et Claude Chabrol. Du maître du suspense proviennent clairement la séquence du cauchemar une fois que le protagoniste est rentré en France, ainsi que l’obsession maladive avec les belles femmes blondes, tandis que Chabrol s’invite à la fête par le biais du regard désabusé sur le délabrement moral de la bourgeoisie provinciale. Cependant, La Sirène du Mississipi est avant tout un film typiquement truffaldien dans sa symbiose accidentée entre l’ambition de l’élégance classique dans la forme et les pulsions viscérales plus sauvages dans le fond.

Synopsis : Sur l’île de la Réunion, le riche entrepreneur Louis Mahé cherche une femme par petites annonces. Il pense avoir trouvé sa future épouse en la personne de Julie Roussel, avec laquelle il échange de nombreuses lettres avant leur première rencontre. Or, quand Mahé revient bredouille du quai de débarquement où il aurait dû retrouver sa promise, une femme qui ne ressemble en rien à l’image qu’il se faisait de Julie se présente à lui. Subjugué par sa beauté, il l’épouse sans tarder. Les premières semaines de la vie de couple se passent d’une façon idyllique, jusqu’à ce que Julie obtienne accès aux comptes bancaires à la fois personnels et professionnels de son époux follement amoureux.

L’Amour à mort

François Truffaut est sans doute le plus romantique des réalisateurs français. La plupart de ses films traitent de l’amour non pas sur le ton sirupeux de la comédie romantique stéréotypée, mais sur celui de la tragédie poisseuse, où les troubles du cœur ne trouvent guère une satisfaction durable. En ce sens, ce film est carrément un cas d’école de la démarche de Truffaut, qui suit ses amoureux transi coûte que coûte jusqu’au bout de leurs tourments. La dégringolade de la représentation de cet idéal romantique s’avère alors tout aussi exemplaire. De la lecture des petites annonces pendant le générique du début jusqu’au départ vers l’inconnu dans la neige à la fin, en passant par le moment éprouvant d’attente dans le port et toutes ces petites incongruités de la part de la jeune mariée avant que sa vraie identité scélérate ne soit révélée, le récit n’est en fait qu’un enchaînement systématique de déceptions amoureuses. La particularité de cette histoire – et en fin de compte son point d’intérêt principal – est par contre que le comportement du mari lésé s’écarte progressivement de la bienséance à laquelle il paraît si attaché, pour s’engouffrer corps et âme dans une aventure passionnelle. L’intrigue ne bascule du coup pas tout à fait dans le camp des épopées criminelles à la Bonnie et Clyde, un film d’ailleurs quasiment contemporain de celui-ci, mais elle reste suspendue dans le terrain neutre des troubles moraux et sentimentaux en manque d’une réponse claire et rassurante.

La Peau de chagrin

La rencontre de deux vedettes majeures de l’époque ne produit pas forcément des étincelles ici, mais plutôt une tension malsaine pas négligeable. Alors que Catherine Deneuve avait déjà interprété des femmes fatales avec un grain de folie auparavant, par exemple chez Roman Polanski et Luis Buñuel, l’emploi de Jean-Paul Belmondo tranche plus sensiblement avec les offensives de charme pour lesquelles il était réputé jusque là. Curieusement, son rôle du mari malmené, qui lutte avec plus ou moins de détermination contre l’étiquette de perdant que la société et la tradition romantique voudraient tant lui attribuer, nous fait penser à l’image qu’un acteur comme Patrick Bruel véhicule dans ses films. En dépit de son fanatisme grandissant à l’égard de son épouse mystérieuse ou peut-être justement à cause de cette soumission sans conditions, le refus catégorique de se rendre à Paris mis à part, Mahé ne se défait jamais complètement de son aspect de victime misérable d’une supercherie machiavélique. Belmondo incarne cet homme qui lâche progressivement prise avec le monde raisonnable avec une ambiguïté surprenante. Contrairement à Michel Bouquet dans le rôle du privé, qui est censé retrouver l’imposteur. Même s’il reste méchamment sournois lors de ses premières séquences, sa mort grandiloquente est beaucoup trop théâtrale pour ce film, qui n’est toutefois pas à une rupture de ton près. Car c’est justement le rythme à vif de la narration qui fait de La Sirène du Mississipi une œuvre écorchée, intrigante mais pas entièrement enthousiasmante.

Conclusion

A notre connaissance, François Truffaut n’a jamais complètement raté l’un de ses films. Même les plus problématiques d’entre eux, auxquels appartient éventuellement celui-ci, vibrent d’une verve créative fascinante. C’est même dans ces mises en scène moins soignées que se manifeste toute la force téméraire du réalisateur. Si de surcroît ces exercices de style sont portés par des têtes d’affiche aussi légendaires que Deneuve et Belmondo, nous aurions tort de bouder notre plaisir.

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