Critique : La Poursuite des tuniques bleues

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La Poursuite des tuniques bleues

Etats-Unis, 1967
Titre original : The Long Ride Home
Réalisateur : Phil Karlson
Scénario : Halsted Welles, d’après un roman de Nelson et Shirley Wolford
Acteurs : Glenn Ford, George Hamilton, Inger Stevens, Todd Armstrong
Distribution : Columbia
Durée : 1h24
Genre : Western
Date de sortie : 2 juillet 1969

Note : 3/5

Vers la fin des années 1960, le western dans sa forme classique subissait une mort aussi lente qu’inéluctable. Il existait certes, à cette époque-là, un nouveau vent de violence, de crasse et de dégénérescence, mais il soufflait sur le genre loin de sa terre d’origine, dans des productions européennes et plus spécifiquement italiennes. Après ce dernier baroud d’honneur, dont l’ambassadeur par excellence était bien sur Sergio Leone – même si les films de Sam Peckinpah ne doivent pas pâlir en comparaison –, le western a quasiment disparu des écrans, quelques hommages des deux ultimes fans, Clint Eastwood et Kevin Costner, mis à part. La Poursuite des tuniques bleues est un témoin plutôt savoureux de ce déclin. Mis en scène sans trop de fioritures par un petit maître de la série B, Phil Karlson, et peuplé de vedettes soit eux aussi sur le déclin, Glenn Ford et George Hamilton, soit aux tout débuts d’une carrière brillante, Harry Dean Stanton et Harrison Ford, il conte son histoire crépusculaire sur la folie de la guerre avec une dose considérable d’ironie.

Synopsis : Pendant les derniers jours de la Guerre de Sécession, le Major Tom Wolcott est chargé de la surveillance d’un groupe de soldats confédérés, emprisonnés dans un fort près de la frontière mexicaine. Leur commandant, le capitaine Dorrit Bentley, ne manque pas une occasion pour planifier des tentatives d’évasion. Il y parvient finalement avec une poignée d’hommes, qui sont aussitôt pris en chasse par Wolcott. Or, la fiancée de ce dernier, Emily Biddle, sur le chemin du retour après une brève visite, est prise en otage par les évadés. Tandis que Bentley entame auprès d’elle un dangereux jeu de séduction, Wolcott redouble d’efforts pour attraper ses ennemis, avant que la guerre ne soit finie et qu’ils ne franchissent la frontière.

Une victoire dérisoire avant une défaite cuisante

La trame narrative de ce western somme toute classique ne brille guère par son originalité. Ses différents éléments, des conditions de détention dégradantes dans le camp au début à la fusillade finale dans un décor de ville abandonnée, en passant par un manichéisme jamais vraiment pris en défaut au fil de la chasse à l’homme, nous ont même fait douter si nous ne l’avions pas déjà vu dans un passé lointain. Il n’en résulte pas moins une admirable cohérence dans la lassitude des personnages, fatigués de la guerre qui tire laborieusement vers sa fin et pas non plus trop satisfaits apparemment du statu quo, fait de bonheur et d’innocence, dont ils découvrent avec une amertume grandissante le caractère factice. Les enjeux pour lesquels ils se battent les uns contre les autres, dans un engrenage de plus en plus absurde, perdent ainsi en précision, au fur et à mesure que les repères rassurants sont sacrifiés sur l’autel d’une drôle de guerre privée, jouant les prolongations après la fin des hostilités officielles. Or, le ton du film n’accède jamais entièrement au niveau d’une tragédie grandiose. Sans doute est-ce à cause de son envergure commerciale et artistique trop modestes pour viser de telles hauteurs de règlement de compte ultime, simultanément avec l’Histoire américaine et le rêve de réussite individuelle sur lequel elle est fondée depuis toujours.

La virilité mise en question

La source principale du malaise, c’est-à-dire du démontage en règle des codes héroïques de rigueur auparavant, se situe du côté du reflet de l’idéal masculin, particulièrement malmené ici. Le point de départ et son opposition binaire, entre le mari valeureux et presque trop terne et prévisible pour être attirant et le rebelle avec son air de charmeur narquois suprême, se voient ainsi systématiquement pervertis, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien d’autre qu’un énorme désarroi, voire une soif de mort assouvie in extremis. Dans ce contexte de la morbidité des attributs virils, il est à noter que la séquence du déshonneur crucial est très vite expédiée, malgré un appétit grandissant du public de l’époque pour une représentation plus débridée de la sexualité au cinéma, au profit d’une sempiternelle rancune à distance entre Wolcott et Bentley. Enfin, dans les deux camps militaires, d’étranges couples d’hommes donnent, eux aussi, une image indubitable de la gente masculine en crise. D’un côté, les deux trouillards sont affublés de tous les clichés nauséabonds associés à l’époque à une caricature nullement valorisante de l’homosexualité, tandis que de l’autre, les deux brutes se provoquent sans cesse dans un douteux rituel qui les mène vers la mort, en parfaite logique pour un film aussi pessimiste.

Conclusion

Même si La Poursuite des tuniques bleues n’a point marqué l’Histoire du western, il est néanmoins un exemple tout à fait satisfaisant de la fin douce-amère d’un cycle. Les héros d’antan n’y font plus recette, puisque ils ont laissé la place à une forme de décadence passablement jouissive. La spirale inextricable vers la disparition définitive de toute notion d’honneur s’y agence avec une certaine adresse et pas sans efficacité, en dépit de la topographie pas toujours concluante des affrontements.

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