Critique : La Fleur de mon secret

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La Fleur de mon secret

Espagne, 1995
Titre original : La flor de mi secreto
Réalisateur : Pedro Almodovar
Scénario : Pedro Almodovar
Acteurs : Marisa Paredes, Juan Echanove, Carmen Elias, Rossy De Palma
Distribution : Ciby Distribution
Durée : 1h45
Genre : Drame
Date de sortie : 27 septembre 1995

Note : 3/5

Almodovar et les femmes, c’est une longue histoire d’amour à travers le filtre du cinéma. Ses portraits de personnages féminins forts, en dépit des névroses multiples qu’ils traversent avec un stoïcisme remarquable, forment la base irréductible de son œuvre filmique. Même les films qui apparaissent à première vue comme mineurs jouent alors un rôle essentiel dans l’évolution de son regard sur la gente féminine. La place que La Fleur de mon secret tient au sein de la progression artistique de Pedro Almodovar, entre ses folies de jeunesse des années ’80 et ses mélodrames prestigieux qui se succèdent à un rythme soutenu depuis la fin du siècle dernier, permet donc d’y voir une sorte de résumé du passé et un avant-goût de la maturité formelle future. Ce qui ne signifie guère que la force de fascination que le réalisateur maîtrise sur le bout des doigts ne fait pas une fois de plus des ravages par le biais de cette histoire à la complexité joliment artificielle. Car toutes les inquiétudes du personnage principal réunies – peu importe qu’elles relèvent de l’ordre créatif, sentimental ou libidineux – n’y servent qu’à mettre en avant la magistrale Marisa Paredes dans un rôle taillé sur mesure.

Synopsis : L’écrivain Leo souffre de l’absence de son mari Paco, un officier qui partage son temps entre Bruxelles et les Balkans, au lieu de subir les différentes manifestations du désespoir de son épouse. Cette dernière broie tellement du noir qu’elle ne trouve plus l’inspiration pour remplir son contrat d’auteur de romans à l’eau de rose, qui remportent depuis des années un succès populaire sous le pseudonyme Amanda Gris. Sa seule amie Betty, qui organise des stages destinés aux médecins qui doivent inciter les proches des défunts au don d’organes, lui conseille d’écrire sous un autre nom de plume pour le journal El Pais. Or, cette nouvelle occupation n’enlève en rien la peur majeure de Leo de voir son couple péricliter.

Une vache sans clarine

Qu’est-ce qu’une femme sans son homme ? Si on ne s’attendait pas forcément à une question aussi conformiste de la part de l’un des réalisateurs les plus ouverts d’esprit dans le domaine des alliances romantiques, Pedro Almodovar réussit à dissiper rapidement notre appréhension quant aux véritables enjeux de La Fleur de mon secret. A l’instar de la plupart de ses autres films, l’intrigue épouse une structure chorale, au cours de laquelle des centres d’intérêt apparaissent et s’estompent avec un naturel qui borderait presque au réalisme. Sauf que l’authenticité du cadre social joue au mieux un rôle très secondaire dans l’univers du réalisateur. Il s’emploie davantage à souligner des aspects théâtraux de l’histoire, parfois amusants comme dans le cas des engueulades stériles entre la sœur et la mère de Leo, interprétées par les deux actrices fidèles Rossy De Palma et Chus Lampreave, ou dans celui des bottes nostalgiques qu’elle n’arrive plus à enlever au début du film, parfois plus tragiques comme lors de la tentative de suicide tout juste avortée. Le personnage principal emprunte exactement la même trajectoire, sous forme de montagne russe, au rythme des déceptions amoureuses et des moments de consécration professionnelle en trompe-l’œil.

Reflets dans un œil de verre

Sans jamais révolutionner le style de Pedro Almodovar, La Fleur de mon secret en fournit une conjugaison adroite. Les symboles visuels un peu gratuits y abondent certes, tels ces dédoublements dans des vitres, mais dans l’ensemble, le cahier des charges esthétique agit sagement selon les qualités habituelles de la mise en scène. Notamment du côté des couleurs, le réalisateur ne lésine pas sur les associations farfelues, voire sur son fameux fétiche du rouge sous toutes ses facettes. Or, le trait appuyé se purifie miraculeusement lors de la séquence de danse, une mise en abîme plutôt habile de la situation inextricable dans laquelle Leo s’est manœuvrée par sa propre faute. A ce moment-là, elle n’est pas encore prête à lâcher prise, afin de recommencer sa vie avec quelqu’un d’autre, un fait qui se laisse vérifier sans peine grâce à la séquence suivante – celle de la promenade avec l’éditeur Angel sur la place déserte – à la tension sentimentale redoutable. Dans la plus pure tradition sirkienne, le scénario sait néanmoins aménager in extremis une possible échappatoire à cette femme, qui serait alors sur le point d’entamer une étape plus sereine de son existence.

Conclusion

Loin d’être un film mémorable à lui tout seul, La Fleur de mon secret constitue une prodigieuse somme de ce que son réalisateur avait accompli jusque là. Il allait surtout servir de point de départ indirect – malgré En chair et en os interposé entre ces deux films – vers le sommet provisoire de la carrière de Pedro Almodovar qu’allait être Tout sur ma mère. Bref, c’est une variation plaisante de motifs et de thèmes déjà connus à l’époque, qui allaient acquérir leurs lettres de noblesse peu de temps après.

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