Critique : Jackie Brown

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Jackie Brown

Etats-Unis, 1997
Titre original : Jackie Brown
Réalisateur : Quentin Tarantino
Scénario : Quentin Tarantino, d’après un roman de Elmore Leonard
Acteurs : Pam Grier, Samuel L. Jackson, Robert Forster, Bridget Fonda
Distribution : Bac Films
Durée : 2h34
Genre : Gangster
Date de sortie : 1er avril 1998

Note : 4,5/5

Dans l’Histoire du cinéma, il n’y a jamais eu de genre plus cool que la blaxploitation. C’était même sa caractéristique principale, faute de films assez attrayants pour se frayer leur chemin jusqu’à une acceptation par le grand public. De cette niche, un peu bon marché, un peu inconsistante, Quentin Tarantino l’a sorti le temps de son troisième film, afin de lui donner ses lettres de noblesse. A bien y regarder, ce serait même sa vocation prioritaire de cinéaste, d’opérer comme une sorte de passeur de trésors méconnus qu’il reconditionne à sa guise. Quoique l’on puisse penser de cette démarche au pire des cas narcissique et nombriliste, elle n’a pas produit plus bel objet cinématographique que Jackie Brown ! Il ne s’agit pas forcément du meilleur film du réalisateur – cet honneur revient à Pulp Fiction –, mais tout de même de notre préféré. Car cette histoire d’une hôtesse de l’air au bout du rouleau qui est obligée de mener un double jeu est un chef-d’œuvre discret, moins tonitruant que les autres films du réalisateur, mais simultanément plus proche d’une conception réaliste et par conséquent humaine des personnages.

Synopsis : Quand Jackie Brown est interpellée à l’aéroport de Los Angeles par des agents fédéraux, son monde s’écroule. Puisque son travail pour une compagnie aérienne ne paye pas assez, elle fait la mule pour le vendeur d’armes Ordell Robbie qui se sert d’elle pour ramener son argent du Mexique. Or, les policiers n’ont pas seulement trouvé une forte somme d’argent dans son sac, mais également de la drogue, destinée à Melanie, la copine surfeuse de Ordell. Puisque Jackie refuse de collaborer avec les forces de l’ordre, elle risque une peine de prison qui mettra définitivement fin à sa misérable carrière professionnelle. Seul son garant de caution Max Cherry pourrait la sortir de cette impasse, à condition qu’un plan farfelu pour ramener d’un seul coup la fortune de Ordell en Amérique réussisse.

La panthère noire de Los Angeles

Il ne suffit pas de vouloir être cool pour réellement l’être. Pour y parvenir, il faut donner l’impression que cet état d’esprit à la fois détendu et classe vient naturellement ; une entreprise déjà très difficile à mener à bout dans la vraie vie et quasiment impossible à accomplir dans le cadre d’une œuvre filmique. Jackie Brown est pourtant un film éminemment cool de bout en bout, dépourvu du moindre signe de relâchement dans cette qualité si fragile. Et comment pourrait-il en être autrement avec une actrice majestueuse, mais nullement prétentieuse, comme Pam Grier au cœur de l’intrigue, qui trouve ici le rôle phare de sa carrière ? Chaque fois qu’elle apparaît à l’écran, c’est-à-dire depuis le générique qui attribue d’emblée un ton et une posture inimitables au film jusqu’au magnifique plan final, elle est l’icone parfaite de tout un pan du cinéma américain, voire d’une classe sociale entière qui a rarement les honneurs d’un traitement filmique adéquat. Cette femme, à la situation si précaire et aux alliances si contradictoires, affiche une fierté subtile dont la narration de Tarantino se fait en permanence le relais consentant. Et nous ne pouvons que l’en remercier vivement, face à ce portrait de femme magistral, capable de créer une héroïne en chair et en os qui ne manque pas de nous impressionner de nouveau, à chaque fois que nous la revoyons.

Plus que moyennement cool

Néanmoins, si ce personnage emblématique évoluait en vase clos, en tant que référence exclusive du film, Jackie Brown serait sensiblement moins engageant. C’est surtout son lien avec Max Cherry, interprété par Robert Forster, lui aussi au sommet tardif d’une carrière en dents de scie, qui l’enracine dans une réalité à peine sublimée par la forme soignée de la mise en scène de Tarantino. Osons donc l’hypothèse que ce quinquagénaire au tempérament très posé est le personnage le plus normal dans l’univers créé par le réalisateur. La bonne surprise réside alors dans le fait que ce couple largement platonique tire in extremis son épingle du jeu, au détriment d’une solution plus grandiloquente, qui aurait par exemple pu donner raison au trio de bras cassés, joué avec un goût certain pour la farce par Samuel L. Jackson, Robert De Niro et Bridget Fonda. Les méandres du récit brouillent ainsi les pistes dans un jeu astucieux, seulement dépassé en complexité cette année-là par L.A. Confidential de Curtis Hanson, mais sans jamais perdre de vue l’enjeu principal de l’histoire. Ce dernier relève à la fois de l’ordre du social et du sentimental, puisque la survie économique de Jackie – confrontée à des soucis existentiels d’habitude exacerbés jusqu’à la caricature chez Tarantino – dépend étroitement de sa capacité de séduire les hommes qui peuvent lui être utiles, et plus précisément de celle de faire confiance à l’un d’entre eux, aussi désabusé et néanmoins noble qu’elle.

Conclusion

A chaque nouvelle vision, nous tombons éperdument amoureux de Jackie Brown. C’est pour nous le film culte ultime de l’œuvre de Quentin Tarantino, a priori le seul où le style personnel du réalisateur se met entièrement au service d’une histoire plus nuancée que ses épopées sanglantes. Et puis, c’est l’occasion inespérée de voir Pam Grier hélas une dernière fois incarner le genre de femme forte à laquelle la blaxploitation était pratiquement la seule à aménager une place de choix. Enfin, la bande originale constitue la cerise sur ce gâteau filmique, nullement gavant, mais au contraire d’une élégance et d’une retenue incroyables.

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