Cannes 2018 : Fahrenheit 451 (Ramin Bahrani)

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Fahrenheit 451

États-Unis, 2018
Titre original : Fahrenheit 451
Réalisateur : Ramin Bahrani
Scénario : Ramin Bahrani & Amir Naderi, d’après le roman de Ray Bradbury
Acteurs : Michael B. Jordan, Sofia Boutella, Michael Shannon, Keir Dullea
Distribution : HBO
Durée : 1h40
Genre : Science-fiction
Date de sortie : –

Note : 2,5/5

Édité au début des années 1950, le roman d’anticipation « Fahrenheit 451 » de Ray Bradbury avait marqué les esprits à cette époque-là. Dans la foulée, cette histoire pessimiste sur une société, où la littérature est considérée comme le mal absolu, avait été adaptée au cinéma par François Truffaut en 1966. Quoi de plus opportuniste et culturellement urgent alors, que de remettre au goût du jour cette vision apocalyptique de l’avenir de l’homme, à l’ère de la désinformation, crainte par les uns, pratiquée par les autres et réfutée uniquement par l’espèce hélas en voie d’extinction des journalistes scrupuleux ? Parfaitement dans l’air du temps, c’est la chaîne payante américaine HBO qui s’y colle, par le biais d’un téléfilm à gros budget, présenté en Séance de minuit au Festival de Cannes. (Et non, on ne va pas prendre position ici dans la controverse qui a enflammé davantage les esprits que les pages de papier cette année, par rapport à l’absence largement médiatisée de telles productions signées Netflix sur la Croisette !) Si l’on peut apprécier l’effort mis dans l’élaboration d’un lien d’actualité alarmante entre les horreurs fascistes qui se passent à l’écran et les dispositifs de communication qui règlent d’ores et déjà notre quotidien, l’histoire en elle-même demeure néanmoins fâcheusement distante, un reproche qui s’appliquait également au film de Truffaut. Car pour une histoire qui est censée promouvoir une prise de conscience foudroyante, son héros malgré lui fait toujours preuve d’une passivité préjudiciable, peu importe qu’il a les traits de Oskar Werner ou de Michael B. Jordan.

Synopsis : Dans un avenir proche, après que les États-Unis ont été ébranlés par une Seconde Guerre civile, les avis contraires à l’idéologie dominante du bonheur, autrefois exprimés dans les livres, sont vigoureusement bannis. Des unités de pompiers ont pour tâche de débusquer les derniers résistants à ce nouveau statu quo et de brûler les rares ouvrages sur papier encore en circulation, lors de cérémonies solennelles transmises sur le réseau social officiel, le Neuf. L’un des plus ambitieux et populaires d’entre eux est Guy Montag, un jeune officier formé par l’impitoyable commandant Beatty. Il croit pleinement en sa mission, jusqu’à ce que la destruction d’un stock de livres exceptionnel mette sérieusement en question sa vocation. Montag se tourne alors vers Clarisse, une indicatrice vivant dans la clandestinité, qui lui ouvre les yeux sur l’absurdité dangereuse du travail des pompiers.

Le Meilleur des mondes pour les laveurs de cerveaux

Après des débuts forts prometteurs, notamment avec l’un de ses premiers films Chop shop, présenté à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs il y a dix ans, nous avions quelque peu perdu de vue le réalisateur Ramin Bahrani. Ou plus précisément, ce sont les distributeurs français, normalement si téméraires lorsqu’il s’agit de soutenir des talents émergents, qui lui ont fait faux bond, par exemple avec la sortie directement en vidéo du remarquable 99 homes. Le fait d’accéder in extremis à la projection de presse de ce film-ci, qui ne verra pas non plus la lumière des salles de cinéma en France, équivalait donc presque à un acte de résistance contre cette forme de censure par l’argent, malheureusement guère nouvelle ou originale. Même si nous ne regrettons pas trop de l’avoir vu de cette façon exclusive et privilégiée, force est de constater que nos souvenirs du style fort de Ramin Bahrani ont fait les frais du rouleau compresseur de l’esthétique de luxe de la télévision contemporaine. Fahrenheit 451 nous laisse ainsi avec une mise en scène aussi impersonnelle que l’est en fin de compte cette relecture d’une mise en garde de plus en plus édentée par les temps qui courent. Tandis que l’utopie du bonheur décrété d’en haut y est à peine effleurée, suspendant du coup dans un vide idéologique les interventions de purification visant les dernières bibliothèques restantes, le retournement d’allégeance du protagoniste s’y opère toujours selon le même mode opératoire aseptisé.

Vigilance + 100

Difficile en effet d’adhérer ne serait-ce qu’à un niveau intellectuel à la trahison de ce pauvre gars Montag, d’abord la vedette zélée d’un monde qui exprime l’approbation de la plèbe par des likes défilant en permanence sur les écrans géants qui couvrent les façades des gratte-ciel, puis abruptement un grain de sable tout aussi motivé dans le mécanisme de la persécution en devenant le plus précieux allié de la cause adverse. L’interprétation transparente de Michael B. Jordan dans ce rôle depuis toujours problématique n’aide certes pas à rendre l’intrigue plus engageante, mais le souci principal réside plutôt du côté d’une trame scénaristique toute tracée, quoique nullement fluide. En somme, nous ne croyons pas davantage à la pirouette préprogrammée du protagoniste qu’aux hésitations mentionnées seulement dans la séquence du papier à rouler chez sa figure paternelle caricaturale, qui se ravise bien trop vite pour devenir alors le stéréotype ennuyeux de l’antagoniste sans merci. Le commandant Beatty est pour Michael Shannon à peine plus qu’un énième méchant synthétique, le genre de rôle manichéen auquel il paraît hélas abonné ces dernières années sans exception. Quelques tics narratifs, comme le souvenir d’enfance progressivement plus précis de Montag, qui lui permet de se libérer de son mensonge existentiel, ne font qu’embrouiller encore plus un récit, qui ne fait que gratter la surface d’une thématique pourtant porteuse de mises en garde hautement nécessaires.

Conclusion

Est-ce qu’il convient exactement de parler d’une déception par rapport à cette production HBO, dévoilée en grande pompe au Festival de Cannes ? Les lacunes du matériel de base – à la prémisse géniale mais à la structure dramatique trop expéditive – auraient dû baisser d’emblée nos attentes face à cette épopée de science-fiction, en fin de compte aussi lisse et froidement calculée que Equilibrium de Kurt Wimmer, un autre condensé sans âme en guise d’avertissement de l’âge de la surveillance omniprésente vers lequel nous glissons imperceptiblement. Pareille œuvre sans personnalité nous attriste surtout de la part de Ramin Bahrani, un réalisateur dont on attendait tout de même une signature plus engagée.

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