Critique : Une femme dans la tourmente

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Une femme dans la tourmente
Souvenir d’un week-end à Nantes (Festival des Trois Continents 2015) – Première partie

Une femme dans la tourmente (Midareru)

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Pays : Japon

Réalisation et scénario : Mikio Naruse, Zenzô Matsuyama

Acteurs : Hideko Takamine, Yûzô Kayama, Mitsuko Kusabue

Durée : 98 mn

Genre : Drame

Année : 1964

5/5

Dans le cadre du cycle « séances spéciales », le festival des Trois Continents de Nantes nous a permis de découvrir cette merveille méconnue signée Mikio Naruse. Acacias Films en a permis une nouvelle sortie en salles le 9 décembre 2015. Il reste encore quelques séances au Reflet Médicis et à l’Arlequin : à ne manquer sous aucun prétexte! 

SynopsisReiko n’a connu son époux que quelques mois. Après sa mort dans les combats de la Seconde Guerre Mondiale, la jeune veuve est restée auprès de sa belle-famille, qui lui doit la sauvegarde de l’épicerie familiale. Dix-huit ans d’efforts accomplis avec bonheur, Reiko étant portée par une dévotion sans faille à son défunt mari. Il va sans dire que les sentiments qu’elle semble éprouver pour le jeune frère de celui-ci, Koji, n’ont pas de place dans cet ordre établi.

 

Motifs narusiens

Ce film de Mikio Naruse explore, comme nombre de ses compatriotes et comparses (Kurosawa, Mizoguchi et Ozu), le Japon d’après-guerre et les changements qui résultent de la défaite et de l’occupation américaine. L’aspect social est au coeur de ce drame, témoignant de l’arrivée des supermarchés sous l’influence de la société américaine et du déclin économique des petits commerçants qui en sont les victimes. Les deux personnages principaux représentent la dichotomie à laquelle est en proie le Japon à cette époque. Chacun se fait le porte-parole d’une génération différente et incarne la tradition et la modernité qui se heurtent l’une à l’autre. Le jeune garçon Koji (Yûzô Kayama) est à l’image d’une génération d’après-guerre, très américanisé, tandis que Reiko (Hideko Takamine), de dix ans son aîné, respecte les valeurs d’un Japon traditionnel. Ce contraste transparaît dans la tenue vestimentaire mais surtout dans leur réaction face à la crise sociale et face à leur amour, l’interdit et la culpabilité pesant plus sur la jeune femme.

On retrouve ici plusieurs thématiques chères à Naruse, tel que ce choc des générations mais aussi le rapport à la famille, à la fois refuge et carcan. On est proche du Grondement de la montagne, film de 1954, où Setsuko Hara et Sõ Yamamura campent une femme et son beau-père unis par des sentiments tendres et ambigus. Au-delà du parallèle narratif, on décèle un écho dans les nombreuses scènes de marche qui réunissent le couple- procédé de mise en scène très important chez le réalisateur japonais qu’il n’hésite pas à manier dans d’autres films, comme Le repas (1951). La marche et son rythme témoignent du bonheur d’être ensemble et des fluctuations et remous émotionnels qui circulent entre les deux personnages. Dans Une femme dans la tourmente, c’est dans ces conditions que nous découvrons pour la première fois les personnages ensemble, se retrouvant dans la rue et s’accompagnant pour quelques pas. Les arrêts, retours en arrières, rythmes brisés sont autant de signes du trouble et du conflit intérieur qui les animent et que nous pressentons immédiatement. Cette scène est le pendant d’une discussion importante entre Koji et Reiko qui se déroule dans un temple, où la parole est déclenchée par la marche. Celle-ci annonce et accompagne les moments clés qui ponctuent leur amour.

 

une femme dans la tourmente

 

La Modification

Le train est une figure que l’on retrouve aussi régulièrement dans ses films, notamment dans Le grondement de la montagne. La séquence de voyage d’Une femme dans la tourmente reste l’une des plus remarquables du film. Après le temps étiré du quotidien où chaque détail, chaque geste insignifiant avait un impact puissant sur les personnages, suite à la révélation de cet amour, Naruse offre ici une autre temporalité dilatée. Au fil du trajet, Koji, qui a suivi Reiko dans sa fuite, se déplace de siège en siège pour se rapprocher d’elle, jusqu’à occuper le même compartiment. Les échanges de regards et de sourires –une ombre seulement pour devenir un rayonnement affirmé, témoignent d’une évolution subtile, d’un basculement insensible. Ce n’est plus le mouvement de leur marche, mais celui du train qui les mène l’un à l’autre. On pense à La Modification (1957) de Michel Butor où un homme change imperceptiblement  d’avis au cours d’un voyage en train : « (…) le mouvement qui s’est produit dans votre esprit accompagnant le déplacement de votre corps d’une gare à l’autre à travers tous les paysages intermédiaires (…) ».

Vient l’acmé de la séquence, où Hideko Takamine nous dévoile toute la puissance et la beauté de son jeu. Reiko contemple le visage du jeune garçon qui dort et une multitude d’expressions viennent se mouvoir sur son visage, les sentiments s’y projettent, ombres vacillantes. Elle s’abandonne à son amour et à son désir réprimé, une digue cède. La force de ce passage ne réside pas dans une subjectivité du personnage transmise aux spectateurs par un jeu de champs/contre-champ mais tout simplement par la capacité d’expression et d’émotion d’un visage. Instant de cinéma éblouissant qui trouve sa résonnance dans un plan final bouleversant.

 

 

Résumé : Les amateurs de Naruse aimeront retrouver ici la marque d’un auteur aimé tandis que les novices le découvriront dans un ravissement. Tous seront réunis pour être éblouis par une mise en scène délicate et subtile et une émotion vibrante digne des plus grands mélodrames. 
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