Critique : Mate-me Por Favor

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Mate-me Por Favor

Brésil, 2016
Titre original : –
Réalisateur : Anita Rocha da Silveira
Scénario : Anita Rocha da Silveira
Acteurs : Valentina Herszage, Dora Freind, Mariana Oliveira
Distribution : Wayna Pitch
Durée : 1h44
Genre : Drame, horreur
Date de sortie : 15 mars 2017

Note : 3,5/5

L’adolescence et ses tourments ne cessent depuis toujours de fasciner les cinéastes du monde entier, y voyant à juste titre un univers propice à l’exploration de la complexité des sentiments humains, puisque cette période charnière de l’existence de tout un chacun permet d’aborder une variété de thèmes forts, et ce dans de nombreux genres à priori totalement opposés. Que ce soit le drame, la comédie, ou l’épouvante, il y a toujours un moyen d’en tirer quelque chose de marquant, tant thématiquement que formellement. Dans le film qui nous intéresse ici, la jeune cinéaste brésilienne Anita Rocha da Silveira a donc choisi le prisme de l’épouvante pour y décrire des jeunes gens angoissés mais vibrant d’une fureur de vivre que rien ne semble pouvoir atténuer, pas même des crimes sauvages survenant aux alentours, et touchant principalement des jeunes filles de l’âge des personnages principaux.

Synopsis : Une vague de meurtres tourmente une génération d’adolescents esseulée tout autant fascinée par la sexualité que par la mort, les selfies et… Jésus…

Des courts-métrages révélateurs

Nous avons eu la chance de découvrir ce premier long métrage lors d’une soirée à la Cinémathèque Française consacrée au travail de cette cinéaste émergente, incluant ses premiers courts métrages, ce qui est toujours appréciable lorsque l’on souhaite découvrir une filmographie dans l’ordre, afin d’éventuellement y déceler des thèmes fétiches qui reviendraient tels des motifs à chaque nouveau film, sous une forme ou une autre. Dans le cas présent, il est immédiatement évident que l’on est face à une cinéaste à la personnalité prometteuse, qui, si elle n’évite pas certaines facilités de jeunesse, n’en est pas moins d’une sincérité totale dans ce qu’elle raconte, et qu’elle aime véritablement ses personnages qu’elle ne regarde jamais comme des bêtes curieuses, sachant toujours garder l’empathie nécessaire à l’identification du spectateur.

Nous avons donc pu voir O vampiro do meio-dia (2008), Handebol (2010) et Os Mortos-vivos (2012), explorant chacun des thèmes assez voisins, qui pourraient tout aussi bien être abordés dans des contextes purement réalistes, mais ici toujours dotés d’une ambiguïté pouvant être analysée d’un point de vue fantastique (que ce soit le vampirisme ou les morts vivants). Rien ne va jamais clairement dans ce sens, même si le premier est quand même assez clair à ce niveau, mais les symboles pullulent et laissent déjà apercevoir, par la mise en scène sensorielle, une envie de cinéma s’éloignant des conventions, faisant appel à tous les sens du spectateur, et n’explicitant jamais les choses, considérant à juste titre chaque spectateur comme une entité capable de réflexion, et n’ayant pas nécessairement besoin que chaque intention soit appuyée de façon grossière. Malgré ces qualités indéniables, chacun des courts métrages souffre du problème majeur que l’on peut imputer à la plupart des courts présentés dans les festivals de genre du monde entier, à savoir une réelle capacité à créer une ambiance, et de solides bases, mais laissant toujours le spectateur quelque peu désarçonné. Comprendre par là qu’au-delà du symbolisme, le côté un peu trop abscons finit par laisser sur notre faim. Quoi qu’il en soit, on voit clairement l’évolution entre chaque court métrage, et Mate-me por favor ne fait que confirmer, souvent avec éclat, ce que l’on espérait, à savoir une personnalité nous donnant envie de suivre à l’avenir les autres travaux de cette cinéaste.

Angoisses universelles sous influences

Il est toujours un peu vain de lister toutes les influences décelées dans une œuvre, il est pourtant ici inévitable de les évoquer, tant elles sautent aux yeux et leur mélange forme un tout parfaitement cohérent et personnel. On pense donc au cinéma de Gregg Araki, avec cette esthétique pop et acidulée plaçant immédiatement le spectateur dans le même cocon que ses personnages, fragile édifice menaçant à tout moment de s’écrouler à cause des meurtres violents survenant mais ne touchant que des personnages ne faisant pas partie du groupe principal. Ces dernières, puisqu’il s’agit d’un film très féminin, gardent leur rythme de vie et leurs préoccupations habituelles, entretenant une fascination morbide pour la mort tout autant que des angoisses liées à cet âge où l’on vit chaque instant avec une intensité folle, par peur de mourir avant d’avoir atteint la majorité. Ces angoisses bien concrètes, la cinéaste les décrit sans grands discours, faisant tout passer par sa mise en scène, comme il a été dit plus haut, jouant avant tout sur les sens du spectateur.

Ce qui permet d’aborder la deuxième influence qui semble évidente à la vue du long métrage, à savoir le cinéma de David Robert Mitchell (The Myth of the American Sleepover et surtout le sublime It follows) qui, dans le cadre d’une banlieue américaine typique, matérialisait de façon métaphorique et horrifique les angoisses adolescentes liées à la sexualité. Si l’on n’est pas ici dans le fantastique (quoi que le très beau dernier plan est particulièrement audacieux), la démarche semble tout de même assez similaire, et malgré quelques poses un peu maladroites (mais que l’on placera sur le compte de l’exaltation de la jeunesse, et sur une envie d’exploration d’un cinéma flamboyant), on peut dire que celle ci est réussie, tant l’on ressent des sensations purement enivrantes. Une très belle scène de soirée d’anniversaire en est le plus parfait exemple, la photographie bleutée et fantasmagorique, alliée à une utilisation particulièrement bien placée du morceau « Crimson and clover » popularisé par Joan Jett, ici dans une version tout à fait plaisante, dégageant une sensibilité et une élégance qui hypnotisent littéralement le spectateur. On sent bien l’envie d’un cinéma éloigné des contraintes narratives des œuvres plus grand public, et s’attachant avant tout à travailler sur une atmosphère nous enveloppant pour ne plus nous lâcher avant la fin. Dès lors, et même si le film baigne dans une ambiance souvent morbide, on n’a plus envie de le quitter, et la sensibilité dont fait preuve son instigatrice finit par toucher sincèrement.

Le synopsis réducteur ne rend pas forcément justice à la richesse thématique d’un film prenant comme prétexte une vague de meurtres qui pourrait tout aussi bien être le point de départ d’un slasher movie du type Scream »en forme de whodunit, mais restant ici une toile de fond prétexte à nous faire éprouver les sentiments contradictoires animant une jeunesse quelque peu désoeuvrée, préoccupée principalement par leur sexualité. La réalisatrice filme de nombreuses scènes de baisers langoureux, mais ne va jamais plus loin, revenant régulièrement dans les toilettes de l’école, lieu où semble se dérouler le plus important des journées de ces lycéennes…

Conclusion

Difficile de dire à la vue de ce premier long de quoi sera fait l’avenir de sa cinéaste, mais malgré une certaine tendance au remplissage, celle-ci semblant à chaque instant contempler son propre style et crier au spectateur « regardez comme c’est beau », on ne peut remettre en cause l’honnêteté de la démarche et la véritable beauté plastique (plans longs et élégants, qu’ils soient fixes ou en mouvement, photographie pleine de nuances qui flatte l’œil et évoque NWR, voire le giallo) qui s’en dégagent. La justesse du traitement, et l’absence de complaisance dans les thèmes qui pourraient être racoleurs, sont à saluer, et participent grandement au charme général.

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