Critique : Main basse sur la ville

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Main basse sur la ville

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France, Italie : 1963
Titre original : Le Mani sulla citta
Réalisation : Francesco Rosi
Scénario : Francesco Rosi
Acteurs : Rod Steiger, Salvo Randone, Guido Alberti
Distribution : Nour Films
Durée : 1h45
Genre : Drame, Biopic
Date de sortie : 7 novembre 1963

Note : 4/5

Au pied du Vésuve trônent les châteaux de la grande époque, la Galleria Umberto I, les offrandes au dieu Maradona sans oublier les ruines figées de l’antique cité de Pompéi… Une carte postale altérée par la misère, spectaculaire, qui ronge la cité phare du Mezzogiorno. Lion d’Or à la Mostra en 1963, le film de Francesco Rosi est une chronique de cette misère. Il nous en montre les causes, les exposent et les dénoncent. Un long-métrage coup de poing, de seulement 1h30, qui fait figure de monument sur l’Italie démocrate-chrétienne.

Poussée par l’entrepreneur Nottola, la municipalité de Naples utilise des terrains agricoles pour lancer le construction d’un gigantesque programme immobilier. Les spéculateurs en profitent, mais la proximité du chantier provoque l’écroulement d’une maison ancienne et la mort d’un enfant, ce qui déclenche de vives polémiques au sein du conseil municipal, alors que de nouvelles élections se préparent. Tandis que l’enquête sur l’accident s’enlise, les stratégies électorales s’affinent…

main basse sur la ville

C’est donc dans le Naples du tout début des années ’60 que nous emmène Main Basse sur la Ville. En cette période, la capitale campanienne poursuit son expansion urbaine sous l’impulsion d’un personnage central, le conseiller Nottola (Rod Steiger), homme fort du secteur du bâtiment. Les travaux, menés tambours battants, entraînent rapidement un accident meurtrier dans les quartiers pauvres. Sous la pression de l’opposition, une commission d’enquête interne est créée. Nottola, lui, est rapidement mis en cause par les journaux locaux… Le réalisateur nous a prévenus: si les personnages de ce film sont bien fictifs, le climat social qui sert de toile de fond à l’action est malheureusement réel. Or, il se trouve que rarement un film politique ne nous aura fait découvrir aussi habilement la société qu’il dépeint, balayant les strates de la population avec aisance et connaissance du terrain. L’écriture du film, savoureuse, esquisse avec quelques phrases bien senties une description judicieuse de ce Naples bordélique, où une séance du conseil municipal peut devenir aussi anarchique qu’une manifestation d’expropriés. Certes le trait est parfois un peu forcé par Rosi, qui tente d’en faire ressortir quelque chose de palpable quitte à aller assez loin. C’est ainsi que l’on se retrouve avec une scène hallucinante où le maire goguenard distribue des billets à tout va à destination de femmes démunies en claironnant à la face du communiste De Vita: « vous voyez, voilà comment se fait la démocratie« . Mais de cette réalisation placée au cœur des jeux de pouvoir et d’alliances, on retient surtout l’authenticité flagrante et la maestria d’un script mélancolique qui accuse et met en évidence les manquements de la démocratie au sud de l’Italie, rongée par le clientélisme. On note aussi que par delà la description d’un climat atypique à la cité napolitaine, la réalisation de Rosi tend également vers une certaine universalité dans son propos. C’est en ne nommant jamais la ville dont il est question (Naples n’est pas évoquée par les personnages) que le cinéaste va essayer de démontrer que l’emprise néfaste des politiciens trempant dans des conflits d’intérêt est fatale dans n’importe quelle ville où les marchés publics attirent les convoitises. Nul doute que nous sommes là en présence d’un sommet du cinéma politique italien.

Main basse sur la ville

De Vita/Nottola, tendance manichéiste ?

Il y a dans ce film deux personnages centraux en parfaite opposition dans leurs objectifs et discours. Nottola, le promoteur véreux affilié à la droite est confronté à De Vita (joué par le charismatique Carlo Fermariello), architecte de profession et conseiller communiste. La radicale différence de convictions entre ces deux politiques semble en apparence confiner au manichéisme partisan. On constate pourtant que la réalité est plus nuancée. Tout d’abord, les deux usent des mêmes manœuvres en termes d’alliances, tentant d’obtenir le soutien des membres du Centre, mouvement influent et fluctuant au sein de la majorité. Centre qui par ailleurs n’est nullement diabolisé au cours du récit, puisque comptant dans ses rangs des personnages tels que Balsamo (Angelo d’Alessandro) qui caractérisent une vraie démarche d’utilité publique, soucieuse de vérité et de justice. La confrontation gauche/droite, bien qu’orientée, sert ici la notion pamphlétaire de l’oeuvre qui ne peut se soucier d’équité dans le traitement des factions politiques. Il faut donc qu’un personnage, l’opposant, soit la voix discordante permettant de remonter le fil des abus, et ce au détriment de l’image de la droite, guère épargnée dans le film. De manière plus générale, c’est toutes les contradictions de la démocratie, à Naples et ailleurs, que vise à mettre en avant Rosi, puisque le jeu politique mené par le leader du Centre, de Angelis (Salvo Randone), implique une remise en question complète du jugement moral dans l’action politique. D’une puissance folle, le long-métrage se mue donc à la fois en chronique d’une ville corrompue et en réflexion forte sur la vie politique et ses déboires.

Conclusion

Main Basse sur la Ville est donc loin d’être un simple film militant. A la fois radiographie de la corruption, dilemme moral, cette oeuvre efficace s’avère précieuse dans sa mise en avant des limites de la démocratie. Cela lui confère une universalité imposante, qui transcende la chronique napolitaine particulièrement fascinante.

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