Critique : L’usine de rien

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L’usine de rien

Portugal : 2017
Titre original : A fabrica de nada
Réalisation : Pedro Pinho
Scénario : Tiago Hespanha, Luisa Homem, Leonor Noivo, Pedro Pinho
Acteurs : José Smith Vargas, Carla Galvão, Njamy Uolo Sebastião
Distribution : Météore Films
Durée : 2h57
Genre : Comédie dramatique, comédie musicale
Date de sortie : 13 décembre 2017

3.5/5

Un film social de 2 h 57, vous êtes tenté.e ? N’essayez pas de tricher, on le voit d’ici : on sent chez vous quelque chose qui s’apparente à de la réticence. Et, si l’on vous dit que ce film social est en même temps une farce, un conte, un documentaire et qu’il lui arrive même de devenir une comédie musicale, vous sentez vous mieux ? Et puis, en douce, on ajoutera que L’usine de rien s’est vu décerner le Prix de la critique internationale des sections parallèles au dernier Festival de Cannes.

Synopsis : Une nuit, des travailleurs surprennent la  direction en train de vider leur usine de ses machines. Ils comprennent qu’elle est en cours de démantèlement et qu’ils vont bientôt être licenciés. Pour empêcher la délocalisation de la production, ils décident d’occuper les lieux. À leur grande surprise, la direction se volatilise laissant au collectif toute la place pour imaginer de nouvelles façons de travailler dans un système où la crise est devenue le modèle de gouvernement dominant.

De la gravité et de la légèreté

Lorsque la Direction d’une usine est surprise en train de faire déménager nuitamment les outils de travail de ses ouvriers, ce n’est jamais bon signe : cela sent à plein nez la délocalisation, le licenciement, le chômage. Reste comme arme pour les travailleurs : la grève avec occupation de leur usine. Une occupation illégale qui, curieusement, ne semble pas gêner les patrons outre mesure. Bien sûr, ces derniers vont chercher à diviser les ouvriers en proposant des primes de départ que certains vont accepter. La majorité d’entre eux, cependant, n’entend pas se faire acheter et préfère rester sur place, dans ce qui est, plus que jamais, leur usine. Y rester, mais pour faire quoi ? On évoque la possibilité d’une reprise de la production en autogestion. Toutefois, il est difficile de produire quelque chose avec des machines qui sont à l’arrêt.

Quand on plonge dans des luttes ouvrières, il est normal de rencontrer des syndicats parfois ambigus, des débats acharnés, avec, ici, des partisans de l’autogestion face à ceux qui ressentent le besoin d’une hiérarchie, plus, bien sûr, des problèmes économiques personnels car il faut bien un salaire pour faire bouillir la marmite. Même si on sent que le film est du côté de la lutte, on retrouve tout cela dans L’usine de rien.

A côté des palabres et des frictions que la situation ne manque donc pas de générer, le film prend quelques chemins parallèles qui constituent un contrepoint plus léger et parfois savoureux au thème principal. C’est ainsi que le collectif de scénaristes nous fait rencontrer Zé, un trentenaire plutôt décontracté qui chante dans un groupe de rock et qui vit avec Carla, sa petite amie brésilienne, et Nowgly, le fils de celle-ci. Quant à son père, l’idée d’une révolution n’est pas pour lui déplaire, une révolution qui, espère-t-il ne serait pas, cette fois ci, une révolution des œillets. Autre chemin parallèle emprunté par le film, l’arrivée d’un cinéaste italien venu couvrir un sujet lié à l’austérité au Portugal. Tout cela avant de faire prendre au film un virage vers  une forme « low cost » de comédie musicale et de nous faire rencontrer des autruches au bord d’un fleuve.

La genèse du film

A l’origine de L’usine de rien, une comédie musicale pour enfants de la néerlandaise Judith Herzberg qui a vu le jour en 1997. Il y a 6 ans, alors que la crise économique régnait dans la plupart des pays et, tout particulièrement, au Portugal, le metteur en scène portugais Jorge Silva Mello s’était mis en tête d’adapter ce texte au cinéma. Des raisons personnelles lui ayant fait abandonner le projet, il a été repris par un collectif de quatre personnes et réalisé par l’une d’entre elle, Pedro Pinho. Le tournage s’est effectué dans une usine à l’histoire très riche :  appartenant au départ au constructeur d’ascenseurs Otis, elle avait été occupée par ses ouvriers lors de la Révolution des œillets de 1974, puis avait tourné en autogestion pendant plusieurs années avant de changer de nouveau de statut dans les années 90. Un environnement qui a permis de puiser parmi les ouvriers de l’usine pour interpréter une grande partie des rôles.

Un film libre et créatif

Un esprit chagrin trouvera matière à ronchonner face à L’usine de rien : trop long, parfois un peu trop didactique, bavard, utilisant souvent une voix off, foutraque (une partie comédie musicale qui arrive un peu comme des cheveux sur la soupe, la rencontre avec les autruches), une foultitude de « défauts » que d’aucuns pourront même trouver rédhibitoires. Il y a une autre façon de voir et de commenter le film : un film qu’on pourrait presque qualifier de godardien, d’une grande actualité, libre, créatif, bourré d’énergie, aux facettes nombreuses, un film ouvertement politique qui aide à sortir des cadres qui nous sont imposés. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ce film nous vient du Portugal : commencé alors que le pays conduisait une politique d’austérité très sévère, il sort au moment où l’économie se redresse avec une politique menée qui contredit en de très nombreux points les critères imposés par Bruxelles.

Conclusion

Même si on peut penser que le film aurait gagné à être un peu moins long, même si on peut parfois le trouver un peu trop didactique, L’usine de rien est un film utile, un film d’une grande vitalité, un film libre et créatif qui fait du bien.

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