Critique : Los adioses

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Los adioses

Mexique : 2017
Titre original : –
Réalisation : Natalia Beristain Egurrola
Scénario : Maria Renée Prudencio, Javier Peñalosa
Interprètes : Karina Gidi, Daniel Giménez Cacho, Tessa Ia, Pedro de Tavira Egurrola
Distribution : KMBO
Durée : 1h26
Genre : Drame, biopic
Date de sortie : 9 mai 2018

3.5/5

6 mois après le biopic documentaire américain consacré à la chanteuse (et féministe) Chavela Vargas, c’est le Mexique lui-même qui nous propose, cette fois ci sous forme fictionnelle, un autre biopic consacré à une autre grande figure féminine du pays, la poétesse, romancière et essayiste (et féministe) Rosario Castellanos. Los adioses est le deuxième long métrage de la réalisatrice mexicaine Natalia Beristain Egurrola. Le premier, No quiero dormir sola, présenté à la Semaine de la  critique de la Mostra de Venise 2012, n’a pas été distribué dans notre pays.

Synopsis : Rosario Castellanos est encore une étudiante introvertie lorsqu’elle se lance dans l’écriture et rencontre Ricardo Guerra. Alors qu’elle est en passe d’être reconnue comme l’une des plus grandes plumes de la littérature mexicaine, l’homme qu’elle aime devient son rival. C’est en restant fidèle à ses choix de femme, de mère et de poétesse que Rosario combattra une société dirigée par les hommes et fera entendre les voix des femmes.

L’histoire d’un couple

Nous le savons tou.te.s : il y a de multiples façons de réaliser un biopic. Pour celui consacré à l’écrivaine mexicaine Rosario Castellanos, Natalia Beristain Egurrola a choisi de focaliser son récit sur le couple qu’elle formait avec le professeur de philosophie Ricardo Guerra Tejada. La réalisatrice et les scénaristes ont beaucoup puisé dans les nombreuses lettres envoyées par Rosario à Ricardo, lettres qui ont été publiées après la mort de Rosario, sous la forme d’un livre de 600 pages, et dont Rosario disait qu’avec ces lettres, elle avait écrit sa propre biographie. Le film ne suit pas le destin de Rosario après son divorce avec Ricardo, ces 3 ans entre 1971 et 1974, alors qu’elle était en poste comme ambassadrice à Tel Aviv, où elle va mourir d’un accident domestique, … ou, pour certains, d’un suicide. On notera que Ricardo Guerra fut également ambassadeur du Mexique, de 1978 à 1983, en Allemagne de l’Est.

Le couple Castellanos / Guerra s’était connu jeune, à l’université, s’était séparé puis s’était retrouvé. Un couple parti sur une « base » très particulière : lors de sa première rencontre avec Rosario, Ricardo voit une communiste dans cette jeune étudiante engagée, originaire du Chiapas, et rajoute « Mais je parie qu’elle est propriétaire ». Un couple dans lequel la jalousie va tenir une place prépondérante : sentimentale chez Rosario, lorsque Ricardo papillonne avec ses élèves, professionnelle chez Ricardo, lorsqu’il prend conscience que celle qui est devenue sa femme a plus de talent et de succès que lui. Un couple qui cherche à avoir des enfants : « Avec ma beauté et ton intelligence, ils seraient parfaits », lance Ricardo en cachant son amertume. Un couple qui, après plusieurs fausses couches de Rosario, finira par donner naissance à un fils, Gabriel.

Des voyages dans le temps

Pour raconter l’histoire du couple Castellanos / Guerra, Natalia Beristain s’est délibérément écartée de la forme chronologique, avec un jeu permanent d’allers-retours entre période de jeunesse et période du couple après ses retrouvailles, plusieurs années plus tard. Trop, diront certains ! Peut-être. En tout cas, on doit au minimum  mettre au crédit de ce choix une séquence, a priori très risquée mais au final remarquable, séquence qui voit Rosario et Ricardo poursuivre une seule et même conversation en passant à plusieurs reprises de la période jeunesse à la période couple et vice-versa.

C’est par petites touches que la réalisatrice montre le caractère amoureux de Rosario (« Je ne peux aimer quelqu’un sans l’admirer »), son goût pour l’écriture (« Rien n’a été vécu si cela n’a pas été rédigé », ce à quoi Ricardo répond « Tu ne sais qu’écrire, et écrire ») et sa farouche volonté de ne rien abandonner : ni sa vie amoureuse, ni son rôle de mère, ni sa vie professionnelle. De même, pour montrer combien Ricardo est jaloux des succès professionnels de son épouse, Natalia Beristain met finement en avant, sans ostentation, son comportement avec un journaliste venu l’interviewer sur sa femme alors que cette dernière est, au même moment, au centre de toutes les attentions. En fait, Ricardo voit dans les volontés de sa femme des crises de petite fille et, en bon macho, il ne cesse d’espérer voir Rosario abandonner son travail pour s’occuper de leur fils Gabriel. Et pourquoi pas le contraire, suggère Rosario ?

On peut regretter par contre que cette focalisation sur le couple en arrive à ne laisser qu’une place limitée au combat mené par Rosario Castellanos pour la cause des populations amérindiennes de son pays, à côté de celui mené pour la cause des femmes. Quant au positionnement social du couple, finalement très bourgeois, on le devine au travers de leur appartement et de la présence de Maria, leur bonne.

 

Deux couples d’interprètes

Pour arriver à peindre de façon crédible les deux périodes qui ont vu Rosario et Ricardo avoir une existence commune, il était indispensable d’avoir (c’était un minimum !) deux couples d’interprètes. En prenant le risque de se faire traiter de chipoteur, on ne manquera pas de remarquer que, aussi bien avec  Tessa Ia et Pedro de Tavira Egurrola (le couple jeune) qu’avec  Karina Gidi et Daniel Giménez Cacho (le couple une fois marié), Ricardo semble plus âgé que Rosario, alors que, dans la réalité, Rosario avait près de 3 ans de plus que Ricardo. Passons, le plus important étant la qualité de jeu de ces 4 comédiens et comédiennes, encore plus sensible chez les deux interprètes de Rosario que dans ceux de Ricardo.

Tout au long du film, la réalisatrice alterne intelligemment plans séquences et champs contre-champs avec de nombreux plans serrés. Une des plus belles scènes du film voit Rosario évacuer dans son bain la pression qu’elle ressent, filmée à la verticale depuis 2 ou 3 mètres au dessus de la baignoire. Quant au générique de fin, il est accompagné par des images en noir et blanc de la véritable Rosario Castellanos sur la fin de sa vie.

Conclusion

Il est probable que le nom de Rosario Castellanos ne dise rien à la très grande majorité des cinéphiles de notre pays. Cela ne doit pas empêcher le public de l’hexagone de s’intéresser à cette fine description des problèmes au sein d’un couple, dans un autre pays que le nôtre, dans une autre époque que celle que nous vivons. C’est tout sauf une surprise, malheureusement : Los adioses montre finalement que, malgré de réels progrès, les inégalités entre les hommes et les femmes sont malheureusement toujours d’actualité !

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