Critique : L’Obsédé

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L’Obsédé

États-Unis, 1965
Titre original : The Collector
Réalisateur : William Wyler
Scénario : –
Acteurs : Terence Stamp, Samantha Eggar, Mona Washbourne
Distribution : Park Circus France
Durée : 1h59
Genre : Drame , Epouvante-horreur , Thriller
Date de sortie : 1er avril 2015

Note : 5/5

Contrepoint intimiste et psychologique de Ben-Hur (1959), L’Obsédé de William Wyler, sorti en 1965, campe un collectionneur maniaque qui enlève et séquestre l’étudiante dont il est amoureux. Le film repose sur le duo d’acteurs formé par Terence Stamp et Samantha Eggar, des cadrages parfaits découpés sur fond de la cave d’une demeure ancienne, et la musique allègre de Maurice Jarre (Lawrence d’Arabie).

Synopsis : Un jeune employé de bureau, Freddie Clegg, collectionneur de papillons, nourrit une passion éperdue pour une jolie étudiante, Miranda Grey. Tels les papillons, il la prend en filature et finit par l’enlever en la chloroformant. Il la séquestre dans une maison isolée et annonce à sa victime qu’aucun mal ne lui sera fait. Il la garde seulement pour lui.

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La chasse

Au commencement, la caméra traque, dans un champ, un chasseur de papillon. Ce chasseur, l’air agile et léger, attrape au filet un magnifique spécimen qu’il enferme dans un bocal. Aux gestes précautionneux du chasseur succèdent un plan sur une vieille demeure à vendre découverte par hasard, une plongée dans la cave annexée à la maison, et une image du chasseur dont le monologue intérieur dévoile des plans machiavéliques… La première scène de chasse se double alors d’une seconde, dont tout l’art, atroce, est de nous rendre complices : le chasseur incarné par Terence Stamp prend en filature une étudiante, qu’il coince ensuite dans l’étroitesse de la ruelle où il avait parqué sa camionnette, et l’endort au chloroforme. Chasseur et collectionneur, Freddie l’est aussi de cette jeune femme, dont nous savons déjà qu’elle subira le même sort que le papillon… Le rapt commis, il ne nous reste plus qu’à laisser libre court aux imaginations perverses qui sont les nôtres au cinéma et qui s’incarnent entièrement en la personne, maniaque et obsessionnelle, de Freddie. La musique de Maurice Jarre, allègre, comme un train en marche, dissonant avec l’horrible trame qui se profile, reflète la satisfaction du maniaque qui parvient à s’emparer du spécimen féminin qu’il prisait.

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La Belle et la Bête… démystifié

Un rapt amoureux consistant à enfermer dans la cave d’un manoir isolé la jeune femme adulée et respectée afin que celle-ci tombe amoureuse de soi… L’Obsédé, pour sa trame, pourrait bien ressembler à un conte gothique, voire être envisagé comme le reflet inversé, dépouillé de ses composantes magiques et sentimentales, de La Belle et la Bête. La Bête de Cocteau chérit la Belle comme le ravisseur de Wyler vénère la sienne… sauf que dans L’Obsédé, la belle captive ne lui cède jamais. L’une des scènes les plus terrifiantes est celle où, arpentant la cave où elle vient juste de s’éveiller, Miranda s’arrête de stupeur devant chacun des meubles: une lampe de salon, une coiffeuse, une armoire pleine de vêtements à sa taille… Il s’avère que la cave tout entière est emménagée comme une pièce à vivre ; elle commence juste à mesurer le degré de la folie de son ravisseur.
La cave se révèle une sorte de prison dorée, mais qui ne la fera jamais tomber sous les charmes d’un ravisseur qui se comporte pourtant comme une sorte de gentleman. En ce sens, le couple désassorti joué par Terence Stamp et Samantha Eggar est remarquable : elle, réaliste, terrifiée, fait jouer sa ruse contre un être qui hésite en permanence entre l’envie d’être valorisé par l’inconnue qu’il aime et la lucidité à l’égard de cette personne dont il se doute qu’elle essaiera de le flatter pour mieux lui échapper. Terence Stamp brille par sa capacité à osciller en permanence entre le visage glaçant d’une folie logique et méticuleuse et les attitudes maladroites – tête tordue, doigts noués – d’un enfant complexé, tandis qu’elle exprime toutes les variations du sentiment de claustration. En fait, si Eddie a dû s’emparer de Miranda de force, c’est que leurs situations sociales respectives rendaient incompatibles une rencontre authentique, de telle sorte qu’entre en jeu dans le rapport de force entre les personnages un facteur décisif, explicité tardivement mais constamment visible dans la posture corporelle de l’obsédé, à savoir le complexe de l’infériorité de sa situation sociale et culturelle.

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Capter la capture

Capter à l’écran l’acte de la capture, capturer le sentiment de la claustration, le projet de L’Obsédé s’accomplit de façon terrifiante, mais brillamment. L’analogie entre la cave obscure où Miranda est gardée prisonnière et la salle de cinéma où le spectateur assiste impuissant aux affres d’une séquestration paradoxale (puisque respectueuse dans une certaine mesure de sa victime) s’accroît à mesure que les issues sautent et que la situation s’enlise. Tout le jeu dramatique du film varie autour du respect ou non des termes du contrat établi au début.
Or William Wyler excelle dans l’art d’explorer les instants-limites de la situation de captivité amoureuse qu’il a mise en place. Sans jamais outrepasser certaines de ces limites, il donne à voir une succession de situations qui effleurent de plus en plus près l’inacceptable, suscitant de captivants moments de suspens et d’angoisse. La tension atteint sans doute son paroxysme lorsqu’un visiteur s’invite dans la demeure, alors que Miranda se trouvait exceptionnellement à l’étage. L’intrusion impromptue ouvre la possibilité d’une issue… et permet à Wyler de mettre la verticalité du manoir au service du drame, de la prise de risque vertigineuse de la prisonnière qui, attachée et bâillonnée dans la salle de bain, tout en haut, parvient à faire déborder l’eau du bain…

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Conclusion

L’Obsédé de William Wyler sort en salles en version restaurée le 1er avril 2015, soit cinquante ans après sa réalisation : toutes les raisons sont bonnes pour aller voir ce chef-d’œuvre qui nous enferme, pendant 1h59, dans les dédales mentaux d’un collectionneur obsessionnel.

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