Critique : Leila

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Leila

Iran : 1996
Titre original : –
Réalisation : Dariush Mehrjui
Scénario : Mahnaz Ansarian, Dariush Mehrjui
Interprètes : Leila Hatami, Ali Mosaffa
Distribution : Splendor films
Durée : 1h59
Genre : Drame
Date de sortie : 6 décembre 2017

4/5

Une certitude : Dariush Mehrjui n’est pas le plus connu des réalisateurs iraniens. Pourtant, il occupe une place importante dans l’histoire du cinéma de son pays, son film La vache, réalisé en 1969, étant souvent considéré comme étant le premier véritable film d’auteur du cinéma iranien. Sorti en 1996, Leila n’avait pas eu droit, à l’époque, à une sortie en salles dans notre pays. Remercions Spendor films de réparer cette « erreur » !

Synopsis : Leila et Reza, couple moderne iranien, sont ravis de leur mariage récent. Lorsque la mère de Reza apprend la stérilité de sa belle-fille, elle entreprend de convaincre son fils de changer d’épouse. L’oppression de cette mère étouffante et le poids de la tradition semblent mener droit à l’effritement du couple.

Satisfaire l’autre

1996 : le Président de la République islamique d’Iran s’appelle Hachemi Rafsandjani ; la polygamie n’est pas interdite dans son pays, mais elle n’est pas très répandue. En effet, le mari ne peut prendre une seconde épouse qu’avec le consentement de sa première femme. C’est dans ce contexte que se situe l’action de Leila. Jeune couple moderne, Leila et Reza ne semblent pas particulièrement portés sur la religion et l’amour qui les lie serait sans tache si, le temps passant, la naissance prochaine d’un enfant était annoncée. Malheureusement, il s’avère que Leila est stérile. Qu’importe ! Reza ne se contente pas d’aimer sa femme, il est prêt à accepter de ne jamais avoir de descendance. Mieux : en tant que spectateurs, on peut même se demander si, tout compte fait, il ne préfère pas rester sans descendance. Par contre, dans l’entourage immédiat du couple, quelqu’une entend faire bouger les lignes : la mère de Reza tient absolument à ce que son fils ait une descendance et, ajoutons même, une descendance masculine. Pour elle, la solution passe par une seconde épouse. Reste à convaincre son fils et sa belle-fille.

Dans une véritable relation amoureuse, n’est-il pas normal de tout faire pour rendre heureux l’objet de votre amour ? Persuadée que Reza, par amour pour elle, ne lui dit pas la vérité lorsqu’il prétend qu’avoir un ou plusieurs enfants est loin d’être une priorité pour lui, Leila ne peut s’empêcher de prêter une oreille attentive aux tentatives de sa belle-mère pour la convaincre d’accepter de partager son époux avec une autre femme. Quant à Reza, il est persuadé que son épouse tient absolument à satisfaire la volonté de sa belle-mère et il n’entend pas la décevoir à ce sujet. Toutefois, des décisions prises en toute bonne foi dans le seul but, du moins le croyez vous, de satisfaire des êtres qui vous sont chers peuvent se fracasser contre votre propre bonheur et, in fine, ne satisfaire personne.

 

L’implication du spectateur

Après Baanoo, Sara et Pari, Leila est le dernier volet d’une quadrilogie réalisée par Dariush Mehrjui et consacrée à des portraits de femmes iraniennes. Dans ce film, des choix de mise en scène peuvent surprendre mais s’avèrent finalement très judicieux. C’est ainsi que le réalisateur s’autorise de temps en temps l’utilisation de dispositifs très théâtraux comme le fait de voir des personnages se tourner vers la caméra et adresser leurs apartés directement aux spectateurs. Autre dispositif surprenant : des communications téléphoniques qui donnent l’impression que la personne au bout du fil est présente dans la pièce où se déroule l’action. En fait, à côté des personnages principaux que sont Leila, Reza et la mère de Reza, on sent que le réalisateur a voulu impliquer au maximum un quatrième personnage important : le spectateur, qui est là pour juger de la sincérité de Reza quand il prétend ne pas être vraiment intéressé par le fait de devenir père, pour s’offusquer de la façon dont la mère de Reza vient s’immiscer dans les choix très personnels d’un couple, pour compatir aux conséquences pour Leila des décisions qu’elle croit bon de prendre. Plus le film avance, plus on constate que la force du film réside dans le fait que la forme s’accorde parfaitement avec le fond et permet à cette narration qui aurait pu n’avoir qu’un intérêt documentaire de revêtir les atours d’un film d’auteur aux qualités cinématographiques indéniables.

Le casting

Si Leila avait l’objet, dès 1996, d’une sortie dans les salles françaises, les interprètes de Leila et de Reza auraient été de parfaits inconnus pour les spectateurs. Depuis cette date, les carrières de Leila Hatami, l’interprète de Leila, et de Ali Mosaffa, l’interprète de Reza, ont pris beaucoup d’ampleur. Leila Hatami ? C’est elle qui interprétait le rôle de Simin dans Une séparation, rôle qui lui avait valu de remporter l’Ours d’Argent de la Meilleure actrice lors de la Berlinade de 2011. Ali Mosaffa ? En plus d’être devenu le réalisateur de deux longs métrages très bien reçus dans de nombreux festivals, on a pu le voir tenir des rôles importants dans Le passé et Un vent de liberté.

On ne manquera pas, par ailleurs, de prêter une oreille attentive à la très belle musique, bien ancrée dans la tradition persane, composée par Kayvan Jahanshahi.

Conclusion

Tout en présentant une situation typiquement iranienne, la portée universelle de Leila est indiscutable : pour un couple, le fait qu’une tierce personne, fut-elle la mère ou le père d’un des deux conjoints, vienne s’immiscer dans un choix qui ne regarde que le couple est presque toujours source de problèmes ! Par ailleurs, Leila nous amène à nous interroger sur la situation des femmes en Iran : a-t-elle ou non progressé depuis 1996, date de la sortie du film ? On l’espère pour elles, même si de nombreux films iraniens vus récemment tendraient à prouver que, malheureusement, ce n’est pas vraiment le cas.

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