Critique : L’affranchie

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L’affranchie

Italie : 2016
Titre original : La ragazza del mondo
Réalisation : Marco Danieli
Scénario : Marco Danieli, Antonio Manca
Acteurs : Sara Serraiocco, Michele Riondino, Marco Leonardi
Distribution : Bellissima Films
Durée : 1h41
Genre : Drame, Romance
Date de sortie : 19 avril 2017

3.5/5

A 40 ans, le réalisateur italien Marco Danieli nous propose un premier long métrage de fiction qui mélange une histoire d’amour entre deux jeunes gens aux passés très différents avec un volet très bien documenté sur les témoins de Jéhovah, une religion (une secte ?) peu souvent présentée au cinéma et qui est beaucoup plus implantée en Italie qu’en France : près de 500 000 fidèles de l’autre côté des Alpes contre 250 000 de ce côté ci, 250 000 évangélisateurs réguliers contre 130 000.

Synopsis : Giulia, jeune témoin de Jéhovah, voit sa vie basculer lorsqu’elle rencontre Libéro qui vient de sortir de prison. Leur amour interdit conduira Giulia à l’exclusion totale de sa communauté. Avec lui, un autre destin semble possible. En cherchant sa voie, elle découvre les dangers d’un monde extérieur au sien…

L’amour face aux dictats de la communauté

A 18 ans, Giulia est une jeune fille comme les autres, une jeune fille qui va au lycée et se montre particulièrement brillante dans ses études au point de devenir la première à gagner une olympiade de mathématiques en venant d’une section technique. Une jeune fille comme les autres ? Pas tout à fait, toutefois, car elle a été élevée dans le cadre de la communauté des témoins de Jéhovah et elle suit à la lettre les préceptes de cette religion. C’est ainsi qu’elle passe beaucoup de temps à faire du porte-à-porte en cherchant à évangéliser les gens et qu’elle n’adresse plus la parole à celles et ceux qui ont été excommuniés, par exemple pour avoir eu une relation amoureuse avec une personne « du monde », ce monde extérieur plein de dangers qu’il est certes impossible de ne pas croiser mais pas au point d’aimer un de ses ressortissants.

En fait, la vie de Giulia est dictée par des maximes telles que « Les mauvaises compagnies gâtent les saines habitudes » ou « Le chef de la femme, c’est l’homme » et elle pense que les règles strictes qu’elle doit suivre peuvent s’apparenter aux cages qui permettent de se protéger des requins qui nagent autour de vous. Encouragée par sa professeur de mathématiques, Giulia aimerait poursuivre ses études mais sa mère cherche à la convaincre qu’aller à l’université l’empêcherait de consacrer le temps nécessaire à la doctrine des témoins de Jéhovah.

La rencontre avec Libero, le fils d’une femme qu’elle cherche à évangéliser, va bouleverser la vie de Giulia. Comme il sort de prison, elle va d’abord faire en sorte de l’aider à trouver un travail et, très vite, s’enticher de lui au point de s’écarter de sa communauté sans perdre totalement la foi pour autant.


Un film honnête et très bien documenté

A la vision de L’affranchie, on n’est pas surpris d’apprendre que Marco  Danieli a beaucoup travaillé dans le domaine du documentaire. Souhaitant être le plus rigoureux possible dans la représentation des Témoins de Jéhovah, lui et son co-scénariste Antonio Manca ont rencontré de nombreux membres de cette communauté ainsi que des excommuniés et on n’a pas à se forcer pour penser que ce qu’on voit est proche de la réalité. D’autant plus que le réalisateur ne fait preuve d’aucun manichéisme, montrant avec beaucoup de retenue et d’honnêteté une communauté qui, certes, opprime les individus en leur dictant leur mode de vie de façon très stricte mais fait aussi en sorte de leur procurer une forme de convivialité qui semble apporter à ses membres une apparence de bonheur proche de la béatitude. En fait, Giulia se retrouve face à une véritable alternative, face à deux visions du bonheur, deux visions qui sont aux antipodes l’une de l’autre et qui, sont, bien sûr, totalement incompatibles.

C’est particulièrement  la crainte de se retrouver isolée dans un monde qu’on lui a toujours décrit comme étant dangereux et cruel qui explique les hésitations de Giulia face à cet amour qui nait en elle. Des hésitations qui sont en contradiction avec une volonté qui devient de plus en plus forte chez Giulia : à l’image de Libero (prénom qui n’est pas là par hasard !) dont on sent dès le début qu’il n’aime pas se faire dicter sa conduite, la jeune fille aspire de plus en plus à conduire elle-même sa vie. Les dictats de la communauté et de ses parents lui sont devenus insupportables mais les fuir ne signifie pas pour autant qu’elle doive suivre aveuglément les conseils de sa professeur de mathématiques ni se plier sans renâcler au mode de vie de Libero.

Une mayonnaise bien montée

La période récente nous a apporté de nombreux films dont le personnage principal est une femme ou une jeune fille pleine de détermination qui lutte pour s’affranchir du poids qui pèse sur elle, qu’il provienne d’une religion, des traditions, ou d’un mélange des deux, poids qui, le plus souvent, prend la forme d’un mariage forcé mais peut aussi revêtir la simple interdiction, pour une fille, de faire du vélo. La plupart de ces films nous sont venus du Maghreb, du Moyen-Orient, de l’Asie Centrale ou de l’Inde ou impliquaient des ressortissants de ces pays vivant en Europe. Dans presque tous ces films, la religion stigmatisée était la religion musulmane. On peut remercier Marco Danieli d’avoir choisi de montrer une telle lutte dans le cadre d’une autre religion (d’une secte ?) très bien implantée dans le monde occidental. Y adjoindre la naissance d’une passion amoureuse n’était pas sans risque : le réalisateur a su mettre les ingrédients pour faire monter la mayonnaise sans aucun accroc.

Parmi ces ingrédients, on ne peut s’empêcher de mettre en exergue  les interprètes du film et, tout particulièrement, Sara Serraiocco qui joue le rôle de Giulia, et Michele Riondino, celui de Libero. De la première, qui jouait le rôle de Rita, une jeune aveugle, dans Salvo, de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza, nous avions écrit qu’il était difficile de porter un jugement sur son jeu, vu le caractère très artificiel de ce que les réalisateurs lui avaient demandé de faire. Avec L’affranchie, on peut se lancer : c’est une excellente comédienne qui traduit parfaitement toute la détermination et toutes les hésitations que son rôle lui impose. Quant à Michele Riondino, il a en particulier tourné avec Marco Bellochio dans La belle endormie et il est très convaincant dans son rôle de jeune homme mi voyou, mi charmeur.

Conclusion

Une fois de plus, le cinéma italien prouve, avec L’affranchie, qu’il est loin d’avoir rendu son dernier souffle. En effet, ce premier long métrage de Marco Danieli arrive à combiner de façon convaincante une partie documentaire au sein de la communauté des témoins de Jéhovah, la naissance d’une histoire d’amour et le passage à une vie d’adulte libre d’une jeune fille dont le mode de vie avait été, jusque là, dicté par sa communauté et ses parents. On n’a donc pas été surpris d’apprendre que Marco Danieli a obtenu, il y a très peu de temps, le David di Donatello (le César italien) du meilleur réalisateur débutant.

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2 Commentaires

  1. Je vous conseille sur le même sujet un excellent documentaire qui vient de sortir, appelé « En toute vérité » (en français, Truth be told en anglais). Il s’agit d’un documentaire balancé qui donne la parole à des personnes ayant grandi dans la religion des Témoins de Jéhovah. Personnellement, j’ai trouvé super bien fait; engagé mais sans hargne, une très bonne introduction pour comprendre comment fonctionne le mouvement et quel est le ressenti de personnes y ayant passé des années.

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