Critique : Fièvre

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Fièvre AFFICHEFièvre

France, 1921
Titre original : –
Réalisateur : Louis Delluc
Scénario : Louis Delluc
Acteurs : Eve Francis, Edmond Van Daële, Gaston Modot, Elena Sagrary, George Footit
Distribution : –
Durée : 00h43
Genre : Comédie dramatique, court-métrage
Date de sortie : 1921

Note : 3,5/5

Louis Delluc désigne aujourd’hui l’un des prix les plus importants du cinéma français. Les films de ce réalisateur, reconnu comme le premier critique de cinéma (dans son appellation la plus noble), sont étonnamment peu connus aujourd’hui. Cette Fièvre qui monte dans un petit bar marseillais est un exemple du talent d’un cinéaste décédé très jeune et qui mérite d’être redécouvert, notamment dans le cadre de la rétrospective Toute la mémoire du monde, ce dimanche 7 février à 14h, au Christine 21 (4 rue Christine, métro St Michel), précédé d’une présentation.

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Synopsis : Un groupe de matelots, de retour d’Orient, entre bruyamment dans un bar de Marseille. L’un d’eux, Militis, qui fut l’amant de Sarah, la femme du patron, ramène une petite asiatique qu’il a épousée. La présence de l’orientale provoque une rixe.

 

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Une tension palpable, un milieu hétéroclite

Louis Delluc s’intéresse à un milieu terriblement glauque. La lente mise en place montre tout d’abord les tristes habitués de ce lieu s’ennuyer et décrits par des descriptions peu flatteuses (l’ivrogne, le petit fonctionnaire, la femme à la pipe…). Dans un premier temps, pas vraiment d’intrigue, simplement une tension palpable entre le tenancier et sa femme, Sarah. Lorsqu’une jeune femme appelée Patience explique qu’elle traîne dans les bars des ports dans l’attente du marin qui est parti et qu’elle espère retrouver, la bistrotière lui explique qu’elle a vécu la même chose : «Le mien est marié en Orient, moi, j’ai épousé ça» en pointant son mari du doigt, interprété par Gaston Modot, à la carrure toujours aussi impressionnante. Il a l’air mauvais, ce n’est qu’une brute et les quelques mots de son épouse ne sont pas bien flatteurs. Même si ce film de 1921 est évidemment muet, on le devine maugréer dans son large menton.

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Soudain, pénètre une impressionnante faune encore plus hétéroclite, composée de marins revenus de longs voyages et de femmes esseulées en quête de compagnons ou de clients, ce n’est pas précisé. Le réalisateur alterne alors gros plans et intertitres où tous ces gens sont présentés avec des noms bien imagés, comme La Naine ou Pêche Verte pour deux d’entre elles. Ces cartons sont en effet de qualité et permettent de comprendre les personnalités présentes à l’écran avec un texte irrévérencieux et amusant. Militis, l’un des arrivants et Sarah croisent leurs regards. Le fiancé disparu est en fait de retour parmi tous ces hommes qui ont rapporté toute une série de souvenirs tonkinois hétéroclites, kimonos, foulards, bijoux…

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Un sens aigu de l’art du montage

Quand Militis pointe du doigt ce qu’il a ramené, le montage révèle sournoisement une femme allongée à ses pieds, perdue et comme sortie de nulle part. Le couple séparé manifestement sous l’émotion de ces retrouvailles inattendues s’explique alors, sous le regard soupçonneux du mari. C’est après avoir appris le mariage de sa bien-aimée alors qu’il était atteint d’une lourde fièvre, que Militis (joli nom, profitons-en) l’a «achetée et épousée devant un bonze convenable», et ce carton narratif est suivi d’un bref flash-back du mariage.

Le réalisateur montre ainsi à plusieurs reprises qu’il possède un sens aigu du montage, avec la répétition de ces effets où l’on passe du texte écrit aux souvenirs. Il mêle intérieurs et extérieurs pour ancrer l’intrigue dans son contexte géographique. Enfin, lorsque cette orientale attirée par une fleur posée en hauteur et qu’elle ne cesse de pointer du doigt dans l’indifférence générale, elle rampe lentement au milieu de ce couple quasiment adultérin et de la bagarre qui va exploser. Rien de ce qui l’entoure n’arrête son lézardage étrange, même pas la mort qui rode autour d’elle. Régulièrement, la caméra nous rappelle sa lente avancée.

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Conclusion

Si la multiplicité d’enchaînements entre gros plans et intertitres de présentation des personnages nuit au rythme de cette oeuvre qui ne dure pourtant que 45 minutes, Louis Delluc nous propose un film iconoclaste, au ton vraiment original. Il présente un milieu d’une pauvreté sociale et morale forte, avec un désespoir que peine à cacher quelques pointes d’humour. Si la fin tragique était prévisible, sa dimension étrange lui donne une autre valeur.

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