Critique : Chavela Vargas

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Chavela Vargas

Etats-Unis : 2017
Titre original : Chavela
Réalisation : Catherine Gund, Daresha Kyi
Scénario : –
Acteurs : Chavela Vargas, Pedro Almodovar
Distribution : Bodega Films
Durée : 1h30
Genre : documentaire
Date de sortie : 15 novembre 2017

4/5

Ce n’est ni par le biais d’un biopic classique, genre Ray ou Walk The Line, ni par celui d’un faux biopic, genre Barbara, que les deux réalisatrices Catherine Gund et Daresha Kyi ont choisi de dresser le portrait de la chanteuse mexicaine Isabel Vargas Lizano, plus connue sous le nom de Chavela Vargas. Une chanteuse dont la renommée en France est assez faible mais qui mérite d’être mise sur un pied d’égalité avec les plus grandes chanteuses de la planète, que ce soit Edith Piaf, Amalia Rodrigues, Melina Mercouri, Mercedes Sosa ou Billie Holiday.

Synopsis : De Frida Kahlo à Pedro Almodovar, artiste inspirante et inspirée, ce récit composé d’images rares révèle une femme à la vie iconoclaste et d’une modernité saisissante.
Figure de proue de la musique mexicaine Ranchera, CHAVELA VARGAS, restera à jamais empreinte de récits et de légendes. Chavela s’est elle vraiment glissée tard dans la nuit dans les chambres des maris pour leur voler leur femme?
S’est elle vraiment enfuie avec Ava Gardner au mariage de Elisabeth Taylor? Avant son retour triomphant en Espagne grâce au soutien et à l’admiration de Pedro Almodovar, elle avait arrêté de chanter pendant si longtemps que les gens avaient cru qu’elle était morte. Vêtue comme un homme, fumant et buvant comme un homme, portant un pistolet, CHAVELA n’a cessé d’affirmer sa liberté, sa singularité, son identité et sa passion pour la musique et les textes engagés.

Une chanteuse à part

Si, en allant voir Chavela Vargas, vous prétendez ne pas savoir qui était le sujet de ce film, si vous affirmez ne l’avoir jamais entendue, c’est que vous avez très peu fréquenté le cinéma de Pedro Almodovar, ce réalisateur ayant pioché dans sa discographie pour de nombreux films. Par contre, une certitude : à la sortie de la projection de ce film si riche, vous saurez presque tout concernant cette grande dame de la chanson Ranchera.

Née en 1919 au Costa-Rica, mal aimée par ses parents, très croyants et pleins de préjugés, Chavela est partie très jeune pour le Mexique, où son rêve de devenir chanteuse pouvait plus facilement devenir réalité. Elle a pour elle un physique et une voix, à la fois « déchirée et endolorie ». Elle ne joue pas longtemps le jeu de la chanteuse de Ranchera qu’on voudrait lui voir jouer : musicalement très sobre, elle se contente vite de deux guitares pour l’accompagner et, surtout, trouvant qu’elle a l’air d’un travesti lorsqu’elle s’habille en femme, elle se met à porter le pantalon. Dans le monde macho qui l’entoure, à une époque où les chanteurs de la country US portent des costumes de cowboys et les chanteurs mexicains des costumes de charros, les cowboys locaux, elle se doit d’être plus forte, plus virile et plus saoule que tous ces chanteurs qu’elle côtoie.

Un ennemi : l’alcool

Chavela a vraiment tout pour réussir mais elle a également tout pour ruiner sa carrière. Tout d’abord, elle est homosexuelle à 100%, ce que la société mexicaine de l’époque ne peut pas accepter. Certes, jusqu’à un âge avancé, elle ne le crie pas sur les toits mais il est probable que beaucoup le savent. D’autant qu’en plus de ses relations avec des personnalités artistiques telle Frida Kahlo, on colporte qu’elle détourne des épouses d’hommes politiques et d’intellectuels de leurs lits conjugaux !

Mais le pire pour sa carrière, c’est l’alcool : des saouleries, qu’avant la mort de ce dernier, elle aime partager avec José Alfredo Jiménez, un compositeur de Rancheras qui a beaucoup écrit pour elle. Des saouleries qu’elle continuera longtemps après la mort de José Alfredo. Cet alcoolisme maladif va la faire disparaître de la scène pendant 12 ans, jusqu’à ce qu’une famille d’indiens l’initie au chamanisme et la débarrasse de ce fléau. A 71 ans, elle pourra entamer une nouvelle carrière qui la conduira en Espagne, à l’Olympia, à Carnegie Hall et au Palais des beaux-arts de Mexico, l’équivalent de l’Opéra de Paris, un endroit où elle avait toujours rêver se produire. Il faut croire que Chavela avait une forte constitution, car malgré les hectolitres de tequila qu’elle a ingurgités durant sa vie, celle-ci s’est terminée à l’âge très avancé de 93 ans.

Une construction intelligente

C’est à plusieurs titre que Chavela Vargas est un film important : en plus de mieux faire connaître une chanteuse qui n’a pas toute la place qu’elle mérite, en particulier dans notre pays, le film de Catherine Gund et Daresha Kyi est un document sociologique très riche par sa peinture d’une femme qui s’est toujours comportée comme une rebelle dans un pays connu pour son machisme, d’une femme qui a beaucoup fait pour améliorer la situation de ses « sœurs », les femmes lesbiennes bien sûr, mais aussi, au-delà, toutes les femmes de ce pays, le Mexique, dont elle avait pris la nationalité.

C’est avec beaucoup d’intelligence que Catherine Gund et Daresha Kyi ont construit leur film, se refusant à un survol linéaire de l’existence de Chavela. Elles ont mélangé très habilement les images d’une interview de Chavela réalisée en 1991 par Catherine Gund, des images et des photographies d’archives et des interviews récentes, réalisées par elles, d’un grand nombre de personnes ayant connu Chavela, que ce soit avant ou après cette période de 12 années où beaucoup la croyaient mortes. Parmi ces personnes, Pedro Almodovar, bien sûr, mais aussi et surtout, Alicia Elena Perez Duarte qui fut la compagne de Chavela durant de nombreuses années. Le résultat ? Un film passionnant qui dégage une grande émotion, en particulier lorsqu’on entend cette voix rauque, si pleine de douleur, dans la plupart de ses succès.

Conclusion

A la fois riche et émouvant, Chavela Vargas est un documentaire passionnant qui nous permet de découvrir toutes les facettes d’une femme rebelle qui, de plus d’une façon, avait choisi de vivre dangereusement. Assagie à l’âge de 71 ans, elle a vu sa notoriété grandir dans quelques pays. Pedro Almodovar prétend qu’il l’a cherchée pendant 20 ans et qu’il lui a fallu 20 ans de plus pour s’en détacher. Vous avez 90 minutes de film pour trouver Chavela : profitez en ! Arriverez vous ensuite à vous en détacher ? Pas sûr !

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