Cannes 70 : Nicolas Winding Refn, de Copenhague à la Croisette

0
889

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Écran Noir, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années…

Aujourd’hui Jour J – 64

Si ses trois derniers films ont été sélectionnés en compétition officielle, Nicolas Winding Refn n’est pourtant pas un habitué de Cannes – ou en tout cas, il ne l’était pas avant Drive. Le Danois a en effet passé une quinzaine d’années en étant totalement ignoré de la Croisette, avant que tous les regards se tournent (brièvement) vers lui. Retour sur la carrière du cinéaste danois.

10 ans sous les radars français

Comme il l’explique dans le documentaire portant ses initiales, NWR avait le choix entre intégrer une des écoles de cinéma les plus prestigieuses du Danemark ou réaliser son premier film. Le choix a été rapide, et Refn a décidé de réaliser Pusher. On y suit caméra à l’épaule un dealer qui tente de s’en sortir : un film à petit budget, une plongée dans les bas fonds de Copenhague grâce à laquelle Refn obtiendra un succès critique unanime en France … 10 ans après sa sortie.

Mais il n’a pas attendu d’être encensé en dehors de son pays pour continuer sa carrière, au contraire : en 1999 sort Bleeder, que nous n’avons pu découvrir qu’il y a quelques mois sur grand écran. Un récit que l’on sent autobiographique, où se mêlent amour dévorant du cinéma et attrait irrésistible pour la violence. Dans le rôle principal, une révélation qui n’avait qu’un second rôle dans Pusher : Mads Mikkelsen, qui aura l’incroyable carrière que l’on connaît quelques années plus tard. Refn lui, après ce deuxième film, quitte le Danemark, direction Los Angeles (oui, déjà !) pour y tourner Inside job avec le fameux John Turturro. Un film qu’il produit avec sa propre compagnie de production, Jan Go Star.

Mauvaise idée : ce sera un tel bide que la compagnie va déposer la clé sous la porte, et lui se retrouve endetté. Pourtant, artistiquement, le long-métrage est loin d’être un échec : il est imparfait, certes, mais nous révèle une nouvelle facette de son auteur. On avait découvert sa violence refoulée dans son premier film, ses obsessions dans le deuxième, ici un nouveau style visuel commence à s’affirmer. On quitte la caméra-épaule à la Mean Streets des deux films précédents pour se poser, ralentir un peu, plonger le protagoniste dans des couleurs de plus en plus vives, en accord avec la psyché troublé du personnage incarné par John Turturro. Un style encore balbutiant, imparfait, mais qui annonce la suite qui sera haute en couleur !

Mais après cet échec cuisant au box-office, deux commandes suivront. Avec Pusher 2 et Pusher III, Refn ne se contente cependant pas de réitérer la recette du premier. Les trois films ont des styles qui n’ont rien à voir entre eux et s’intéressent à trois hommes différents, qui ont en commun d’être plongés dans de sérieux ennuis. Dans le deuxième, c’est le personnage au départ secondaire de Tonny (Mads Mikkelsen) qui est au centre du film – et l’acteur trouve là son premier grand rôle. La paternité, thème qu’on ne retrouvera plus chez le réalisateur, est au centre du film : Tonny, fraîchement sorti de prison, essaie maladroitement de plaire à son père mafieux tout en devenant lui-même papa. Si Mikkelsen brille, Refn est lui aussi excellent : quelques scènes mémorables préfigurent même des films qu’il ne fera que bien plus tard, comme la scène d’introduction baignée dans le rouge ou une scène de braquage magistrale. Pusher III va lui être un huis-clos et se concentrer sur la journée de Milo, chef mafieux que l’on retrouvait dans les deux opus précédents. : une journée qui commence avec une fête d’anniversaire et finit par par une éviscération. Une journée normale au pays de Refn, qui est encore à une poignée de longs-métrages du Festival …

Le dyptique Bronson / Valhalla Rising : la confirmation

Bronson et Le Guerrier Silencieux (Valhalla Rising) sortent à moins d’un an d’intervalle. Le style tranche avec la trilogie Pusher : on quitte toute trace de naturalisme pour se plonger dans des atmosphères hors du temps, minutieusement cadrées.

Bronson commence ainsi par le protagoniste s’adressant à des spectateurs. Sur scène, il raconte sa vie, se travestit, s’énerve … En fait, toute la vie de Bronson est un spectacle. Connu comme le « prisonnier le plus violent d’Angleterre », le protagoniste a passé plus de trente ans en isolement et s’est fait médiatiquement connaître outre-manche pour ses fresques, relatées dans le film. Bronson, c’est tout d’abord le premier grand rôle de Tom Hardy, qui se plonge totalement dans la peau du personnage (en témoignent ses kilos de muscles, ses mimiques ou même sa moustache en … poils du vrai Bronson).

Pour Refn, c’est la première partie d’un diptyque en hommage à Kubrick : ici, il revisite Orange Mécanique. En effet, il développe le thème du libre-arbitre au sein d’un environnement carcéral, met en scène la violence avec grandiloquence, et présente un anti-héros s’épanouissant dans l’art. C’est aussi visuellement que le rapprochement est frappant : nombre de travellings accompagnent le protagoniste dans ses mouvements. Il faut dire qu’au niveau de la mise en scène, Refn livre encore une prestation irréprochable, jouant avec les couleurs, les ruptures de tons et des moments d’ultra-violence, le tout sublimé par une musique aux touches électro. Un résultat d’autant plus impressionnant que le film a été produit pour une somme dérisoire : 250000 $, selon des sources concordantes.Difficile d’imaginer un si petit budget ; en tout cas, le film a été bien très bien accueilli par la critique, et connut un petit succès grâce au bouche à oreille – peut-être aussi grâce à l’importance qu’a pris Tom Hardy dans le paysage cinématographique ces dernières années.

Valhalla Rising, lui, n’a pas su trouver son public, et la critique a été moins enthousiaste. Il faut dire que le long-métrage est plutôt aride, décrivant l’arrivée du christianisme dans les régions scandinaves aux IXe-Xe siècles,  puis le départ de vikings vers un nouveau monde. Un film parfois gore, avec en son centre un Mads Mikkelsen borgne et muet mais toujours aussi bon. Un film paradoxalement contemplatif et très violent (une violence sale, crasseuse), une expérience cinématographique assez unique en son genre, souvent décrite comme le « 2001 du film de viking » (ce qui est certes très précis). Un film qui s’améliore à chaque vision. Dans une interview, Refn expliquait que pratiquement personne n’était venu pour la conférence de presse à la Mostra de Venise, où le film était présenté hors compétition. Son film suivant par contre sera acclamé, et en tout point opposé à celui-ci.

Drive : la consécration

Drive est paradoxalement le film le moins personnel de Refn et celui qui est souvent utilisé pour le définir. En soi, ce n’est qu’une série B réalisée à Hollywood pour un relatif petit budget (15 millions de dollars). Pourtant, le film va devenir un micro-phénomène de société lors de sa sortie, notamment grâce à sa bande originale mêlant des chansons nostalgiques façon eighties (comme Nightcall de Kavinsky) et des morceaux de Cliff Martinez, auparavant connu pour ses nombreuses collaborations avec Steven Sodherberg. Ryan Gosling lui va faire des émules dans son rôle de cow-boy moderne et mutique – la voiture a remplacé le cheval.

Le film est présenté à Cannes en 2011, où il reçoit le prix de la mise en scène. Drive est une série B, dans dans le sens classique, positif, du terme. A partir d’un scénario plutôt simple, adapté du romancier James Sallis, Refn livre un film utilisant tous les moyens pour se renouveler dans sa mise en scène. Ce n’est pas tant les poursuites en voiture qui semblent l’intéresser (il y en a d’ailleurs très peu, bien que vraiment réussies) que la figure masculine du personnage (anonyme) de Gosling : sans attaches, sans famille, pouvant aussi bien être nonchalant que subir des accès/excès de violence.

Et si le film est beaucoup plus classique dans son approche que pouvaient l’être ses autres films, il est lui aussi fait de contrepoints : à un moment d’attente succède une course-poursuite, à un baiser une décapitation à coups de pieds. C’est peut-être cela qui a plu au jury présidé par Robert De Niro : cette tension constante, rendant le film viscéral du début à la fin. Un film certes acclamé (il fera plus d’un million et demi d’entrées en France !), qui met Refn sur le devant de la scène, mais qui devient le point de référence dans sa filmographie, alors qu’il n’en est qu’un (excellent) détour.

Only god forgives et The Neon Demon : l’incompréhension

On ne peut pas dire que Only God forgives ait eu droit au même accueil que Drive à Cannes, trois ans plus tard : le film fut hué par une partie de la salle. Ceux qui s’attendaient à une suite de Drive on dû être déçus, puisque le film lui est opposé en tous points : Ryan Gosling est un personnage miné par l’impuissance, l’action y est plus rare (mais pas les excès de violence), les événements se situent en Thaïlande et Cliff Martinez a eu pour directive … de ne pas faire du Cliff Martinez . Pour autant, Only god forgives est dans la droite lignée des autres films de Refn. Tout comme Valhalla Rising, il s’agit d’une expérience cinématographique avant tout, aux couleurs sublimes et aux cadres plus « kubrickiens » que jamais. Reprocher au film la finesse de son scénario serait aussi absurde que de faire le même reproche à Mad Max Fury Road : les deux films ont été fait pour être ressentis plus que réfléchis.

The Neon Demon a été encore plus loin dans la visée d’une expérience. Utilisant les codes de la mode pour en critiquer le système, Refn livre un film hypnotique, fascinant, esthétiquement plus poussé qu’aucun autre de ses long-métrages. Nous l’avons adoré (comme vous pouvez le lire ici et là), mais le film a été un échec commercial (en France, 150 000 entrées, soit 3 fois moins que Only God Forgives et 10 fois moins que Drive ; dans le monde, moins de 3 millions de dollars de recette pour un budget de 7 millions).

A Cannes, sans être hué, il n’a reçu aucun prix, à l’instar des films les plus intéressants de la compétition. Grâce à Cannes, Nicolas Winding Refn est tout de même devenu une personnalité connue, voire reconnue, dans le monde du cinéma. Il s’amuse d’ailleurs à jouer de son image, comme le prouvent ses initiales apposées dès les premières secondes du générique de The Neon Demon.

NWR : désormais, un label, apposé sur des livres (L’art du regard), sur des documentaires sur lui-même ou sur des restaurations (récemment, La Planète des vampires de Mario Bava). Critiqué pour son ego, Refn ne fait pas l’unanimité mais il en est le premier ravi.

Pour le citer : « tu sais que tu as fait un grand film quand la moitié ont aimé, et l’autre détesté ». Je n’aurais pas dit mieux !

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici