Cannes 70 : et pour la première fois à l’écran… John Cleese

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70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Écran Noir, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années…

Aujourd’hui Jour J – 68

Parmi les personnalités auxquelles nous rendrons hommage dans ce dossier spécial sur les 69 premières années du Festival de Cannes, John Cleese n’est pas la première, et de loin, à laquelle l’on pense lorsque l’on évoque les habitués de la Croisette. Ce qui en aucun cas ne m’empêchera de saluer le plus grand des Monty Python (1,95 m environ). Le prétexte de cet hommage ? Un film présenté en compétition dont la SEULE blague vraiment drôle est ce carton ci-dessus. Ça fait peu, j’en conviens.

Introducing Grandeur et descendance

La comédie «pure», directe, dénuée de profondeur dramatique reste relativement rare à Cannes même si le rire s’invite souvent dans les séances du théâtre Lumière (on en reparlera plus en détails, comme par hasard, le 1er avril). La présence de Grandeur et descendance de Robert Young en compétition reste l’une des grandes énigmes de l’histoire du festival. En 1993, cette comédie que l’on peut au mieux qualifier de pas totalement nulle est sélectionnée aux côtés de Adieu ma concubine de Chen Kaige et La Leçon de piano de Jane Campion qui récolteront une Palme d’or ex-aequo mais aussi de Naked de Mike Leigh, Le Maître de marionnettes de Hou Hsiao-hsien ou Raining Stones de Ken Loach. Même pour les amateurs de comédies à l’anglaise, le résultat est très moyen, avec un manque d’invention flagrant et une écriture paresseuse. Pourtant, ce gag idiot dans son générique m’a fait rire alors et ne cesse de me faire rire depuis, comme ça, pour rien. Introducing John Cleese en 1993 après presque trente années de bons et loyaux services, je tente de résister mais je trouve ça drôle. Je suis faible.

Le récit suit la vengeance de Tommy Butterfly Rainbow Peace Patel (Eric Idle, autre membre des Python et auteur du scénario) spolié de son héritage royal à la suite d’une inversion de bébés par une domestique trop ambitieuse. Adulte, il tente de récupérer le trône en tentant lamentablement d’assassiner le plutôt gentil mais niais Henry, interprété par Rick Moranis (le maître des clefs dans SOS Fantômes) qui a renoncé au cinéma dans ces années-là et n’est jamais revenu depuis.

Les quelques apparitions de John Cleese en avocat guère scrupuleux sauvent ce film de l’anonymat total. Elles nous rappellent, si besoin était, son génie comique. Dans l’ensemble de ses apparitions, il fait preuve d’un sacré tempérament qui passe par son physique qu’il prend plaisir à malmener, une dimension snob dans ses attitudes et sa façon de s’exprimer, les interrogations métaphysiques qui semblent frapper son visage lorsqu’il est décontenancé par un propos de son interlocuteur ou lorsqu’il tente de répliquer péniblement avec éloquence (cela ne marche pas toujours), ses yeux grands ouverts pour exprimer la surprise, un art élaboré de la colère rentrée, une nervosité de tous les instants. Il surprend jusque dans ses apparitions en second rôle dans des films souvent décevants de sa période post-Monty comme ce Grandeur et descendance qui ne possède pas la force de ses deux chefs d’oeuvre en solo et qui ne sont pas passés sur la Croisette : le road-movie Clockwise de Christopher Morahan, très libre variation (en ayant beaucoup d’imagination) des Fraises Sauvages d’Ingmar Bergman et Un Poisson Nommé Wanda de Charles Crichton, le sommet de sa carrière en solo.

Il en signe le scénario et s’offre un rôle différent de son emploi habituel, celui d’un avocat frustré, séduit par la sensuellement drôle Jamie Lee Curtis. Il est romantique, maladroit, touchant mais, comme de bien entendu, hilarant. Un film qui ne cesse d’amuser à chaque vision, grâce à une écriture comique précise, avec un sens du burlesque explosif. Chaque apparition de John Cleese est sacrée mais ces deux rôles sont les deux premiers qu’il faut recommander pour apprécier son génie et la richesse de son personnage, en dehors des intégrales du Flying Circus et de Fawlty Towers.

Introducing The Meaning of life

Mais attention, John Cleese à Cannes, c’est aussi un authentique chef d’oeuvre, rien d’autre que le chant du cygne des Monty Python : Le Sens de la vie, le dernier film où ils sont réunis en tant qu’entité créative, tous ensemble devant et/ou derrière la caméra.

Dans Cannes Memories, Robert Chazal (France-Soir) salue sa présence au palmarès : «ce festival restera celui où le jury a osé donner son grand prix spécial à un film comique. Ce n’est pas tous les ans que l’on s’amuse à Cannes». Le groupe a été récompensé dans un palmarès qui honorait également Shohei Imamura (La Ballade de Narayama, palme d’or), Robert Bresson (L’Argent) et Andrei Tarkovski (Nostalghia) dans une compétition où l’on retrouvait également des films aussi gais que Furyo de Nagisa Oshima, L’été meurtrier de Jean Becker, Le Sud de Victor Erice, L’Année de tous les dangers de Peter Weir ou Le Mur de Yilmaz Guney. Excusez du peu.

Le soir de la remise des prix, Terry Jones (cité dans l’ouvrage «Monty Python» de Douglas L. Mc Call) était si surpris qu’il a remercié personnellement chacun des jurés et ajouté «votre argent est caché derrière le lavabo». Ironie de ce texte qui lui est dédié, John Cleese était absent de la Croisette car il écrivait un livre sur la psychologie à la grande surprise de ses camarades qui admettaient en cœur que «c’est lui qui devrait se faire soigner dans un asile». Mais peut-on faire confiance à des énergumènes qui jouent aux starlettes sur la plage de Cannes ?

Pour John Cleese, ce film relève du miracle, comme il le concédait alors à Alain Wais du Monde : «Le Sens de la vie a débuté par accident. Notre conseiller financier nous a dit que La Vie de Brian, notre précédent film, était un tel succès que, si nous enchaînions immédiatement, nos gains seraient suffisants pour nous éviter de travailler le restant de nos jours. Foutaise, il n’y avais pas la moindre once de vérité là-dedans ! Certains d’entre nous n’étaient pas très chauds pour repartir sur un autre film, mais la perspective de n’avoir plus à travailler était alléchante».

Pour lui, le titre n’était qu’un prétexte. Pendant près de deux ans, le groupe n’arrivait pas à lier de façon satisfaisante les gags imaginés pour ce projet. «Aujourd’hui, les sketchs ne me suffisent plus, peut-être parce que j’en ai fait pendant quinze ans […] Pour débuter, c’est un très bon moyen d’expression, mais à l’âge de trente-cinq-quarante ans on aspire à quelque chose de plus complet, de plus abouti, de plus ambitieux. C’est plus difficile, mais plus stimulant et enrichissant de réussir à être percutant et corrosif sur la distance». Ils envisageaient donc de laisser tomber le projet, jusqu’à ce que l’un d’entre eux trouve ce titre profond et donc comique. «Nous avons beaucoup ri, l’idée de faire un film sur le sens de la vie était tellement absurde que ça tenait debout. […] À certains égards, Le Sens de la vie est une falsification, une ficelle».

En conclusion, rappelons que John Cleese a les mêmes initiales que Jésus Christ. Certains y verront une coïncidence. Moi aussi en fait. Hum… Quelqu’un a une meilleure conclusion ? J’ai un doute, là.

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