Cannes 2018 : la palme pour Kore-eda Hirokazu

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(photo : afp / loic venance)
(photo : afp / loic venance)

En cette année de commémoration du 160ème anniversaire des relations diplomatiques entre le Japon et la France, le Festival de Cannes a salué une nouvelle fois le talent d’un cinéaste japonais. Après Teinosuke Kinugasa avec La Porte de l’enfer en 1954, Akira Kurosawa avec Kagemusha en 1980 puis Shohei Imamura avec La Ballade de Narayama en 1983 puis L’Anguille en 1997, Kore-eda Hirokazu n’est que le quatrième cinéaste japonais à obtenir cette récompense. Il avait eu le prix du jury pour Tel père, tel fils en 2013 et son acteur adolescent Yuya Yagira avait été primé pour Nobody knows en 2004. Il s’agissait de sa cinquième participation à la course à la Palme d’or, les deux autres films invités étant Distance en 2001 et le délicat Notre petite sœur en 2015.

Une affaire de famille s’inscrit dans la continuité de ses précédents films, souvent portés par une réflexion sur le cercle familial, qu’il repose sur les liens du sang ou du coeur et le fait d’être élevé ensemble ou non. Les personnages sont attachants, autant les parents dont l’affection est patente ( qui apparaît nettement dans une très belle scène d’amour) que la grand-mère qui n’ignore rien du peu de temps qui lui est compté (la toujours charmante Kirin Kiri, vue dans Les Délices de Tokyo notamment) ou les enfants réunis par le hasard. Certains éléments de l’intrigue sont un peu facilement évacués pour ne pas atténuer l’empathie avec cette famille recomposée mais cette Palme d’or est néanmoins plus que légitime. Elle honore un film de très grande qualité ainsi que l’oeuvre d’un maître contemporain du cinéma, qu’il n’est pas interdit de voir comme un héritier d’Ozu.

Les palmes d’or ex-aequo sont désormais interdites (le dernier cas remonte d’ailleurs à 1997, avec celles partagées par Imamura et Abbas Kiarostami) mais le jury a obtenu, avec l’accord des «patrons» du festival, Thierry Frémaux et Pierre Lescure, le droit d’accorder une Palme d’or spéciale à Jean-Luc Godard qui est, selon les mots de la présidente Cate Blanchett, «un artiste qui a toujours repoussé les limites, qui a toujours cherché à définir et redéfinir le cinéma». Son Livre d’image est une œuvre expérimentale comme on aimerait en voir plus souvent dans une compétition qui en est avare. Le vétéran de la Nouvelle Vague nous noie dans un flux de propos et d’idées philosophiques, politiques et cinématographiques épuisant certes mais si enrichissant pour nos cerveaux parfois blasés qu’on ne peut que se réjouir qu’il continue à nous malmener. Rien que son travail sur le son est prodigieux. Il peut surgir à gauche ou à droite de l’écran, sans que le rendu ne soit confus, même lorsqu’il provient de sources différentes. Une œuvre à découvrir sur grand écran pour apprécier pleinement la richesse de ses idées formelles et d’utilisation des techniques à sa disposition, sur le son donc mais aussi sur ses images retravaillées pour devenir autre chose que leur emploi initial. Son génie du montage se retrouve notamment dans une scène malmenée de Johnny Guitar détournée de son sens initial.

Les acteurs primés l’ont été pour des tours de force doloristes de martyrs qui ne parviennent pas à s’extraire de leur condition. Soutenue par une mise en scène évoquant le style des Dardenne, Samal Yeslyamova incarne Ayka, double, au moins dans la forme, vingt ans plus tard, de la Rosetta des frères belges. Ce qui est dénoncé est relativement juste dans le chemin de croix d’une jeune kirghize exploitée à Moscou qui cherche à sortir de la misère et on croit à cette Russie d’aujourd’hui dénoncée avec vigueur, mais l’accumulation de souffrances finit par lasser. Plus artificiel encore est le Dogman de Matteo Garrone où le modeste propriétaire d’un salon de toilettages pour chiens est harcelé par une petite frappe locale. Dans les deux cas, la succession de malheurs et d’excès dans la représentation de ce qu’ils subissent en atténuent la portée. Question de dosage à l’écran, probablement, même si la réalité peut être pire que ces fictions.

Le prix de la mise en scène revient de façon assez prévisible à Pawel Pawlikowski pour Cold War, qui repose plus sur un sens du cadre et de la photo que sur un réel génie de la mise en scène qui peine à transcender son scénario de romance de gare avec personnages creux, qui s’achève dans un tragique gênant. On préfère l’énergie d’un des grands absents du palmarès, Kirill Serebrennikov avec Leto et sa représentation de la scène rock russe au temps de la Guerre Froide, ou la tension permanente que Lee Chang-dong impose à son film noir intense Burning porté par les performances de son trio d’acteurs, Yoo Ah-In, Steven Yeun et Jeon Jong-seo, qu’il est juste de saluer, tant ils sont partie prenante de la réussite d’un film dont l’absence au palmarès est regrettable.

Le palmarès complet

Longs-métrages

  • Palme d’or : Une affaire de famille de Kore-eda Hirokazu (Japon)
  • Grand prix du jury : BlacKkKlansman de Spike Lee (Etats-Unis)
  • Palme d’or spéciale : Jean-Luc Godard pour Le Livre d’image (Suisse)
  • Prix de la mise en scène : Pawel Pawlikowski pour Cold War (Pologne)
  • Prix d’interprétation féminine : Samal Yeslyamova pour Ayka de Sergueï Dvortsevoy (Kazakhstan)
  • Prix d’interprétation masculine : Marcello Fonte pour Dogman de Matteo Garrone (Italie)
  • Prix du scénario ex-aequo : Alice Rohrwacher pour Heureux comme Lazzaro (Italie) et Jafar Panahi et Nader Saeivar pour Trois visages (Iran)
  • Prix du jury : Capharnaüm de Nadine Labacki (Liban)

Courts-métrages

  • Palme d’or du court métrage: Toutes ces créatures de Charles Williams (Australie)
  • mention spéciale : On the border de Wei Shujun (Chine)

Caméra d’or : Girl de Lukas Dhont (Belgique)

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