Cannes 2016 : nos Palmes d’or préférées

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La compétition de l’édition 2016 du Festival de Cannes débute demain matin à 8h30 avec Rester Vertical de Alain Guiraudie, premier film français à se lancer dans la joute de la Croisette et premier du réalisateur du Roi de l’évasion (Quinzaine des Réalisateurs 2009) et de L’Inconnu du lac (Un Certain Regard 2014) à connaître la joie et les affres de la compétition avec en tête d’affiche Damien Bonnard que les amateurs de courts et moyens-métrages connaissent déjà, à juste titre et qui devrait voir sa carrière décoller avec ce premier premier rôle.

Pour accompagner le lancement cette 69ème édition, voici une sélection de quelques palmes d’or fétiches de certains de nos rédacteurs.

Jean-Jacques Corrio

Cannes 2002, le stand où l’on retire son accréditation. Devant moi, un homme dans la queue. Lorsque son tour arrive, il se présente : «Vous devez avoir une accréditation à mon nom, Mohammed Lakhdar-Hamina». La jeune femme cherche durant quelques secondes puis répond : «désolé, monsieur, nous n’avons pas d’accréditation à ce nom». «Vous êtes sure ?». «Certaine». «Mais j’ai eu la Palme d’or au Festival de Cannes». Et oui, rappelez vous, 1975, la Palme d’or, c’était le film Chronique des années de braise. Son réalisateur ? Mohammed Lakhdar-Hamina ! Rassurez vous : on lui a vite donné une accréditation !

On ne manquera pas de noter que Chroniques des années de braise est le seul film arabe et le seul film africain à avoir obtenu une Palme d’or au Festival de Cannes. Ce film, d’une durée de 2 heures et 57 minutes, raconte en 6 chapitres comment, de 1939 à 1954, est monté le désir d’indépendance du peuple algérien. Un exercice qui s’est avéré dangereux pour Mohammed Lakhdar-Hamina : lorsque son film a été projeté au Festival de Cannes, il a été menacé de mort par des anciens de l’OAS, au point que le ministre de l’Intérieur de l’époque a décidé de faire assurer sa sécurité et celle des ses trois enfants présents au festival par une brigade de sécurité.


Tobias Dunschen

La silhouette à la fois majestueuse et décrépite de Burt Lancaster dans l’un de ses plus beaux rôles, le rire passablement vulgaire et pourtant diablement érotique de Claudia Cardinale, les apparitions anecdotiques de Pierre Clémenti et Terence Hill, la musique magistrale de Nino Rota : les raisons superficielles ne manquent pas pour adorer Le Guépard. Or, le chef-d’œuvre de Luchino Visconti fait également appel à un raisonnement sensiblement plus profond, sur le temps qui passe et qui se soustrait à l’emprise des hommes, même ceux qui se distinguent par leur lucidité et leur ouverture d’esprit. Ce film nous paraît ainsi le formidable compagnon d’une vie de cinéphile, grâce à sa capacité de faire résonner chez nous des thèmes et des préoccupations, qui évoluent eux aussi en permanence en fonction de l’âge auquel on le déguste avec les yeux et les oreilles. Un grand merci au jury de Armand Salacrou qui lui a conféré d’emblée une aura prestigieuse en l’élisant champion du Festival de Cannes en 1963 !


Mickael Lanoye

Il est des films devant lesquels on se sent tout petit. Apocalypse now est de ceux-là. Poignant, riche, bouleversant, le film de Francis Ford Coppola n’est pas à proprement parler un film sur la guerre du Vietnam, mais une parabole sombre et définitive sur le genre humain, montrant, sous des airs de quête initiatique lentement portée par les eaux du Nung, un homme entrer dans la peau d’un autre, afin de finalement devenir, dans la dernière bobine du film, une quasi-abstraction (un dieu ?), dont le sort tragique est malheureusement écrit à l’avance. Avec ses séquences doucement hallucinées et son interprétation sans faille, le film est appelé à régner sur le cinéma contemporain pour de longues années encore, tant que le spectateur pourra s’identifier à la lancinante voix-off du film et, à l’instar de Martin Sheen durant le film, devenir Kurtz en l’espace de trois heures.


Johan Amselem

1997 : année faste pour le festival de Cannes qui récompense deux films. Ex-aequo avec L’Anguille de Shohei Imamura, Le Goût de la cerise, un film iranien réalisé par Abbas Kiarostami, obtient la Palme d’or. Fable philosophique grave et austère sur le thème du suicide, il se cache, derrière sa simplicité apparente, une grande complexité et finesse. Le Goût de la cerise est un film puissant et beau qui laisse une trace indélébile. Mais au-delà de l’objet cinématographique, l’histoire du film est tout autant édifiante et donne tout son sens à l’intérêt du cinéma : si le suicide est interdit par la loi islamique, il est également interdit d’aborder ce sujet. Loin d’être une apologie du suicide, le film cherche à lever ce tabou, et pour cette raison sa sortie en salle a longtemps été interdite en Iran. D’ailleurs, le film est arrivé à Cannes à la dernière minute parce que Kiarostami n’avait pas montré son film au Festival de Téhéran pour obtenir l’aval de la censure. Les autorités lui refusaient donc le visa de sortie. La suite, on la connaît, c’est la consécration internationale pour le cinéaste avec un film qui prend le risque de vouloir changer les choses et faire évoluer les mentalités.


OGB

Librement inspiré de la tuerie ayant eu lieu au lycée Columbine, Elephant de Gus Van Sant est un film tragique et beau à la fois. Ce film, c’est avant tout des personnages qui, chacun à leur tour, viennent se greffer à l’intrigue au moyen de plans séquences et d’une mise en scène des plus sensorielles. Ce film, c’est une musique : Sonate au clair de lune qui permet de cristalliser l’histoire et nous reste en tête. Ce film, c’est une représentation de l’adolescence : comment on grandit, à quel groupe social on va se rattacher au sein de l’école et que peut-il se passer si on se retrouve mis à l’écart ? Ce film, c’est tout simplement une grande œuvre qui brille par son côté épuré. Gus Van Sant parvient à nous montrer que les coupables de l’histoire ne sont pas ceux qu’on pourrait croire. Il traite son sujet avec sensibilité et ne condamne pas ses personnages mais plutôt le système qui fera d’eux des tueurs. Impossible de ne pas se sentir concerné par le sujet. On a tous été amoureux, on a tous eu des pulsions de morts que ce soit envers nous-même ou autrui. On a tous été dégoûté par l’image qu’on renvoie. On a tous envié d’autres personnes, voulu se conformer pour se sentir en sécurité. En résumé, je vais faire plus simple pour regrouper ces sentiments en un seul mot : On a tous été adolescent. C’est sans doute grâce à ça que le film touche tout le monde et obtient finalement la palme d’or au festival de Cannes en 2003.


Julia Montagu

Lorsqu’on évoque Blow-up en société, on s’entend souvent répondre «Ah, oui ! L’émission sur ARTE !». Alors oui, Blow-up a donné son nom à une émission d’ARTE mais non, non et non, Blow-up ce n’est pas que ça et on ne peut le réduire à cela. Blow-up, c’est avant tout, Antonioni, une Palme d’Or à Cannes en 1967, une affiche et un film sulfureux osant montrer un corps féminin entièrement dénudé. Blow-up c’est aussi un lieu mythique «Swinging London», le Londres psychédélique de la fin des Sixties. Blow- up c’est Jane Birkin, David Hemmings dans toute sa splendeur, Vanessa Redgrave et Sarah Miles. Blow-up c’est 112 minutes de casse tête, de suspens, de questionnements, de métadiscursivité. Blow-up c’est un film qu’on peut voir et revoir à souhait sans jamais en venir à bout, c’est un film qui s’apprivoise qui ne s’offre pas totalement dès son premier visionnage. Blow-up est aussi devenu une source d’inspiration, Brian De Palma réalisa Blow Out en 1981 en hommage à cette oeuvre, de même Francis Ford Coppola réalisa Conversation secrète en 1974, comme une réponse au film d’Antonioni. Blow-up c’est un film qui marque l’histoire du cinéma international à jamais et qui est aujourd’hui un incontournable du cinéma, un classique.


Nicolas Santal

Cannes, 1984. Lorsque la cérémonie d’ouverture débute, Wim Wenders commence le mixage sonore de son dernier film pourtant sélectionné en compétition officielle. Quatre jours et quatre nuits plus tard, le réalisateur allemand débarque sur la croisette avec une copie du film. Il est projeté, une heure en retard, et lui n’a pas le courage de découvrir Paris, Texas avec la presse. Pourtant le film sera unanimement (ou presque) acclamé, et le jury présidé par l’acteur Dirk Bogarde lui attribuera la Palme d’Or.

Au début des années 80, Wenders a déjà réalisé une dizaine de films, et dans la forme comme dans le fond on est clairement face à du cinéma d’auteur européen. Mais comme le prouve son film primé, Wim Wenders est un réalisateur qui a toujours été passionné par l’Amérique – et son impact sur son pays de naissance, l’Allemagne de l’ouest. Après une expérience qu’il décrit comme infernale lors du tournage de Hammett, produit par Coppola, Paris, Texas apparaît comme une libération.

On y suit un homme, Travis, surgissant du désert après avoir disparu quelques années. Cet homme n’est autre que le génial Harry Dean Stanton, jusque là limité à des seconds rôles (ce qui n’a pas vraiment changé depuis …). Le visage marqué par les années – il approche alors les soixante ans, il va emmener son fils de huit ans, qui ne le reconnaît pas, pour un road-trip à la recherche de la mère de ce dernier. S’en suivent alors des scènes plus émouvantes les unes que les autres, avec pour point culminant le (non-)face-à-face entre Travis et la mère de son enfant, Jane. C’est à ce moment qu’on réalise à quel point Paris, Texas est un monument du cinéma. Disons que Wenders, par une astucieuse idée de réalisation, reproduit l’idée même du cinéma au service d’un dialogue entre deux être brisés. Natassja Kinski, qui jusque-là dans le film n’était qu’un fantôme, démultiplie la beauté de la scène … La musique de Ry Cooder, elle, nous fait ressentir en quelques accords de guitare la force quasi-mystique qui émane des paysages américains …

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