Berlinale 2017 : bilan et pronostics

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À la vision de la quasi totalité des films en compétition cette année, une question s’impose : mais comment le jury de Paul Verhoeven (accompagné notamment des acteurs Maggie Gyllenhaal et Diego Luna) va-t-il pouvoir composer un palmarès digne de ce nom ? Pour notre deuxième passage sur la Potzdamer Platz (dans la grande salle du Berlinale Palast et des un peu moins grandes salles – mais plaisantes – du Cinemaxx), le constat est sans appel : l’édition 2017 fut un mauvais cru – voire un très mauvais cru – dans l’ensemble, au moins en ce qui concerne la compétition officielle, après la vision de quatorze des dix-huit films à départager, avec plusieurs ratages du niveau de Seul dans Berlin de Vincent Perez ainsi que des films plus anecdotiques à défaut d’être totalement ratés, indignes de la compétition d’un grand festival. Cette faiblesse regrettable serait-elle la conséquence d’une concurrence avec les festivals d’automne et d’hiver tels que Venise, Toronto ou New-York (où fut révélé The Lost City of Z de James Gray, donc disqualifié pour ici) ou de printemps comme Cannes évidemment, préféré par bien des producteurs et cinéastes, au risque de rester sur le carreau de la présélection ?

Aki et ki d’autre ?

L’Ours d’or semble pour l’instant promis à Aki Kaurismäki pour L’Autre côté de l’espoir. Le réalisateur finlandais, Carrosse d’Or en 2016 pour l’ensemble de sa carrière entre autres (rares) prix, annonce que ce deuxième volet de sa trilogie sur les réfugiés après Le Havre serait son tout dernier long-métrage. Dans un entretien accordé à la télévision finlandaise rapporté par l’AFP, il affirme : «J’ai déjà dit ça mais cette fois c’est vraiment ‘adios’. On est tout près de voir que ce film sera le dernier pour moi. Je suis fatigué. Je veux commencer à vivre ma propre vie, enfin». Le couronner d’un premier trophée majeur dans l’un des plus grands festivals de cinéma permettrait de saluer l’une des plus belles filmographies du cinéma international de ces trente dernières années, voire de celles qui ont précédées. Pour rappel, son plus grand succès en palmarès reste L’Homme sans passé, Grand Prix du jury et prix d’interprétation féminine pour sa fidèle Kati Outinen à Cannes en 2002. Boudé lui-même des grandes cérémonies de prix, nationaux ou de festivals, Paul Verhoeven pourrait y être sensible même si de tels calculs sont essentiellement l’apanage des critiques de cinéma.

Avec humour et humanisme, Aki Kaurismäki donne un visage à ceux qui fuient l’horreur des affrontements et traversent plusieurs pays au risque de leur vie. Son long-métrage, le plus ouvertement politique et engagé de la compétition, est doublé d’un sens toujours aussi aigu du cinéma avec un décalage cinématographique porté par un humour pince-sans-rires à répliques intelligentes et un art de raconter l’histoire par l’image ou la place des objets du quotidien dans le cadre plutôt que par la prise de paroles explicite. Lorsqu’elle se fait entendre, les mots sont lourdement pensés, notamment lorsque le syrien Khaled raconte son périple atroce, les massacres à Alep dont il fut le témoin et le voyage empli de menaces constantes pour lui-même et sa sœur. Sa victoire en ferait un joli compagnon au lauréat 2016, Fuocoammare, qui évoquait ce même transit mortel, la mémoire du slameur évoquant une odyssée parallèle en bien des points dans ce documentaire de Gianfranco Rosi nous revenant en mémoire. Comme dans ses précédents films, ses décors et costumes sont hyper stylisés mais les personnages imaginés par Kaurismäki sont bien vivants, empêtrés dans un monde qui ne veut pas toujours d’eux et dans lequel ils ne trouvent que péniblement leur place. Une ode à la solidarité mais le monde dépeint ici n’est pas du tout angélique. Les rôles principaux sont tenus par l’un de ses acteurs fétiches, Sakari Kuosmanen (qui retrouve brièvement Kati Outinen, son épouse de Juha) et Sherwan Haji, un syrien émigré en Finlande.

L’autre grand coup de cœur de la sélection est On Body and Soul de la hongroise Ildikó Enyedi qui, plus de 25 ans après après sa Caméra d’or pour Mon Xxème siècle à Cannes, revient sur le devant de la scène avec cette belle histoire d’amour improbable entre deux âmes éteintes, un homme d’une cinquantaine d’années, directeur financier d’un abattoir «qui a arrêté ce chapitre de sa vie» et une femme plus jeune de vingt ans qui ne l’a jamais ouvert. Un rêve avec des cerfs les relie comme par magie. Les deux acteurs ne surjouent pas la timidité, l’effacement mais captent quelque chose de l’incapacité à vivre pleinement lorsque divers poids, intimes ou sociaux, vous écrasent. Une histoire pudique, un joli sens de la mise en scène assure à ce très beau film une place au palmarès. Si l’Ours d’or lui échappe, un Grand Prix, un prix de la mise en scène ou un prix d’interprétation (voire deux) lui irait très bien. À moins d’une surprise du jury 2017, seul ce film semble pouvoir faire dérailler le train d’Aki.

L’on espère retrouver au palmarès deux autres films marquants dont Beuys d’Andres Veiel, documentaire sur l’artiste allemand iconoclaste Joseph Beuys pour qui l’art n’était pas une fin en soi mais un prétexte pour faire réagir les spectateurs, en les faisant rire ou en les mettant en colère. Cet homme qui ne quittait jamais son chapeau est un sacré personnage et le travail de montage des archives met en valeur son esprit de contradiction et ses créations artistiques ou ses performances, marquées par une dimension politique revendiquée. Un questionnement sur la place de l’art et l’artiste dans la société, vu chez lui comme un outil pour combattre l’ennemi quel qu’il soit et non pas comme un divertissement pascalien.

L’autre film qui devrait, en toute logique, séduire le jury est Colo de Teresa Villaverde. Un instantané rugueux d’une famille en souffrance physiquement et moralement (le père, la mère, la fille et sa meilleure amie, enceinte, plus présente avec eux que chez ses parents invisibles) dans un Portugal heurté par une crise économique cinglante. La réalisatrice enferme et sépare ses personnages dans des figures géométriques rigoureuses (carrés, rectangles) via des portes et des fenêtres devenus cadres de tableaux réunissant des peintures mortes qui ne demandent qu’à revivre en soutenant l’autre comme l’on voudrait être soutenu soi-même. Son style visuel pourrait n’être qu’un gadget, il nous séduit par une exigence artistique dont nous étions nostalgiques les jours précédant avec des films d’une médiocrité formelle parfois abyssale. Un film que l’on souhaite déjà revoir pour en apprécier plus les qualités picturales et sociales exigeantes, loin de tout discours mais néanmoins de plus en plus explicite lorsqu’on y repense. Son style austère mais maîtrisé en fait l’un des rares candidats sérieux au Prix Alfred Bauer, remis à un film «qui ouvre de nouvelles perspectives dans l’art cinématographique ou offre une vision esthétique novatrice et singulière».

Franchement, on ne voit pas qui d’autre pourrait s’y illustrer, contrairement à l’an dernier où la Berceuse de Lav Diaz en huit heures (sortie en salles fin mars) et la belle errance du chinois Crosscurrent, honteusement inédit en salles, étaient des candidats évidents, le premier remportant le prix. Diffusé après notre départ, le chinois Have a Nice Day de Liu Jian pourrait recevoir ce prix en tant que film d’animation.

Le Prix de la contribution technique pourrait revenir au montage de Beuys ou à la photo soit de Colo soit de L’Autre côté de l’espoir, les plans, cadres et sens de la couleur de Timo Salminen étant toujours aussi pointus.

Le roumain Ana, mon amour de Călin Peter Netzer, le brésilien Joaquim de Marcelo Gomes et surtout le coréen On the Beach at Night Alone de Hong Sangsoo diffusés les deux derniers jours ont dans l’ensemble bien voire très bien reçus pour leur sujet ou la façon dont ils le traitent. C’est bien notre veine pour la deuxième année de suite, après des films oubliables et/ou détestables, de louper quatre perles dont l’une de notre autre cinéaste chouchou de la compétition (avec Aki), Hong Sangsoo qui creuse les mêmes sillons d’oeuvre en œuvre. À l’image d’un musicien de jazz ou de blues, il peut sembler se répéter mais ne cesse en réalité de se renouveler et de nous séduire par un style très personnel et ses interrogations obsessionnelles avec de beaux personnages d’hommes faibles et de femmes tristes et tantôt indécises tantôt déterminées.

Les prix d’interprétation

Le couple gauche de On Body and Soul, Géza Morcsányi et Alexandra Borbély, émouvants et délicats, peuvent espérer un double prix d’interprétation, à l’image du couple Tom Courtenay / Charlotte Rampling en 2015 pour 45 ans. Des deux interprètes, Morcsányi est le candidat le plus solide. L’an dernier déjà le lauréat Majd Mastoura pour Hedi n’avait pas vraiment de rival. Sakari Kuosmanen et Sherwan Haji pourraient également faire de bons lauréats.

Évoquons néanmoins les prestations d’autres acteurs. Bright Nights de Thomas Arslan a pu sembler trop superficiel avec quelques belles images parfois gratuites (le plan-séquence dans le brouillard comme détaché de ce qui précède et qui suit) mais qui avaient le mérite d’arriver après d’autres bien plus hideuses. Georg Friederich y est attachant en père peu modèle qui part sur les routes de Norvège pour se rendre à l’enterrement de son père aux côtés de son fils qu’il n’avait pas vu depuis des années. Le scénario est sobre (évitant de lourds bavardages et des conversations pleines de sens) à l’exception de quelques petits artifices d’écriture.

En critique de théâtre contraint de réfléchir au sens de sa vie après avoir été viré sans ménagement dans Wilde Maus qu’il a dirigé lui-même, Josef Hader pourrait également convaincre mais cette comédie de caractères ne vole pas très haut. Mircea Postelnicu semble être un candidat potentiel pour Ana, mon amour dont le réalisateur Călin Peter Netzer avait remporté l’Ours d’or en 2013 pour Mère et Fils, Reda Kateb pour Django n’est qu’une bien lointaine perspective.

Les portraits de femmes fortes, complexes et riches étaient bien plus enrichissants au moins pour leurs interprètes, malgré des films qui ne leur rendent pas toujours complètement justice, privant dans l’ensemble ces films de viser les premiers prix. La favorite est Daniela Vega pour Una mujer fantástica de Sebastián Lelio, chemin de croix d’une femme qui perd son compagnon avec lequel elle n’était pas mariée, prétexte pour sa belle-famille à chasser le plus vite possible de leurs vies ce témoin honteux de la nouvelle vie du défunt. Difficile d’évoquer plus profondément l’importance de ce trophée sans déflorer un élément que l’on ne perçoit pas d’emblée même si le sujet est plus profond que ce (bref) mystère. Le scénario est un peu trop chargé sur l’hostilité contre elle qui vient de (presque) tous, jusqu’à une policière et un médecin aux attitudes trop outrées, l’accumulation étant rarement pertinente dans ce type de dénonciation du mépris dont souffres les «minorités». Son cheminement intime touche juste ainsi que la captation de certaines curiosités malsaines.

Malgré une quête intense et épuisante physiquement pour réunir des fonds pour sauver la jambe de son fils, Véro Tshanda Beya dans Félicité d’Alain Gomis ne séduit pas complètement pour prétendre à un prix, surtout face à la compétition des deux actrices citées plus haut. La première partie ressemble un peu trop à Ma Rosa de Brillante Mendoza et la deuxième, plus cryptique, l’oublie presque entièrement même si elle reste présente à l’image. Pokot d’Agnieszka Holland n’est pas honteux mais souffre d’une intrigue policière convenue héritée des mini-séries à la mode en ce moment venues du Royaume-Uni, de Scandinavie ou de Nouvelle-Zélande (oui, je pense à toi Top of the Lake) qui se suivent, se croisent et se ressemblent. Néanmoins Agnieszka Mandat est là encore une sérieuse candidate en ermite inquiétante qui réunit sans le programmer une sympathique communauté jusqu’à un joli final dans ce film noir à l’écologie radicale. Ce que l’on retient de ce drame, ce sont ses rencontres avec d’autres solitaires attachants dont un informaticien qui ne s’autorise que 80 objets dans son lieu de vie et ses amoureux bien différents. La direction d’acteurs de Hong Sangsoo étant toujours aussi plaisante, Kim Min-hee est certainement bien placée elle aussi. L’embarras du choix donc, au moins dans cette catégorie.

Rentrez chez vous les mains vides…

Aucun risque (enfin, on l’espère, on n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise) de voir au palmarès ces purges lourdingues que sont The Dinner d’Oren Moverman et son sinistre double en noir et blanc The Party de Sally Potter dont on peut épargner le talent comique de Patricia Clarkson (qui soigne ses répliques sarcastiques) mais surtout le ringard Retour à Montauk de Volker Schlöndorff avec un Stellan Skarsgård peu inspiré (et devenu synonyme de nanar quand même, au moins de temps en temps Morgan Freeman fait illusion dans le registre des acteurs qui ne savent pas dire non même si c’est de plus en plus rare) et une Nina Hoss bien éteinte dont on peine à comprendre comment elle peut suivre ce sale type pour un ennuyeux road-trip. On est loin du western Gold de Thomas Arslan où elle nous emportait par un esprit frondeur qui l’a totalement abandonné ici, dans les bras d’un écrivain misogyne imbuvable, empli de préjugés. Un film de vieux croûton insauvable.

Mentions spéciales toutes personnelles à trois films présentés au sein du Forum : l’allemand Casting de Nicolas Wackerbarth avec Andreas Lust, la comédie sentimentale décalée Drôles d’oiseaux d’Elise Girard avec le couple Lolita Chammah / Jean Sorel ainsi que City in the sun de Rati Oneli, documentaire sur une ville de Géorgie cachée du monde sans narration.

Le palmarès sera annoncé ce soir par Paul Verhoeven qui, on l’espère, ne nous décevra pas (?).

Rappel de l’ensemble des films en compétition

  • Ana, mon amour de Călin Peter Netzer (Roumanie)
  • L’Autre côté de l’espoir d’Aki Kaurismäki (Finlande) (critique)
  • Beuys d’Andres Veiel (Allemagne)
  • Bright Nights (Helle Nächte) de Thomas Arslan (Allemagne)
  • Colo de Teresa Villaverde (Portugal)
  • The Dinner d’Oren Moverman (Etats-Unis) (critique)
  • Django d’Etienne Comar (France) (critique)
  • Félicité d’Alain Gomis (France, Sénégal)
  • Have a Nice Day (Hao ji le) de Liu Jian (Chine)
  • Joaquim de Marcelo Gomes (Brésil)
  • Mr Long de Sabu (Japon) (critique)
  • Una mujer fantástica de Sebastián Lelio (Espagne)
  • On Body and Soul (Testről és lélekről) de Ildikó Enyedi (Hongrie) (critique)
  • On the Beach at Night Alone (Bamui haebyun-eoseo honja) de Hong Sangsoo (Corée)
  • The Party de Sally Potter (Grande-Bretagne) (critique)
  • Pokot (Spoor) d’Agnieszka Holland (Pologne) (critique)
  • Return to Montauk de Volker Schlöndorff (Allemagne, France)
  • Wilde Maus de Josef Hader (Autriche) (critique)

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