Critique : Au delà de la gloire

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Au delà de la gloire

Etats-Unis, 1980
Titre original : The Big Red One
Réalisateur : Samuel Fuller
Scénario : Samuel Fuller
Acteurs : Lee Marvin, Mark Hamill, Robert Carradine, Bobby Di Cicco, Kelly Ward
Distribution : Warner Bros.
Durée : 2h42
Genre : Guerre
Date de sortie : –

Note : 3,5/5

Si le regard que Samuel Fuller portait sur la guerre de Corée dans deux de ses films au début de sa carrière était déjà peu complaisant, le point de vue du réalisateur sur un conflit auquel il avait activement participé, observé à travers le prisme d’une nostalgie nullement conciliante, ne pouvait être que cinglant. En effet, Au delà de la gloire compte parmi ces films de guerre qui plongent le spectateur dans un chaos existentiel, où la gloire et la patrie ne valent plus rien, face à l’urgence de rester en vie. L’absurdité absolue de tout conflit armé s’y exprime, non pas à travers un conte héroïque, ni davantage par le biais d’un réalisme outrancier. Non, ce film maudit, ressorti seulement en 2004 dans une version remontée selon la volonté supposée du cinéaste décédé depuis, est un récit hautement personnel sur la folie meurtrière en temps de guerre. L’engrenage de la violence y a tendance à se répéter à l’infini, à l’image de ces missions qui se ressemblent sans apporter le moindre sentiment d’accomplissement personnel ou collectif. Seule une camaraderie forcément virile entre frères d’armes, cette minorité infime suffisamment chanceuse pour ne pas tirer le numéro perdant à la loterie du massacre sur les plages des théâtres de guerre successifs, peut y servir de repère, à condition de ne jamais perdre de vue le dilemme moral entre le fait de tuer ou bien d’assassiner l’ennemi temporaire.

Synopsis : Aux dernières heures de la Première Guerre mondiale, le sergent est envoyé en éclaireur sur le terrain dévasté de ce qui aura été l’ultime bataille. Perdu dans le brouillard, il tombe sur un soldat allemand qu’il poignarde, malgré son cri de défense que la guerre serait finie. Un quart de siècle plus tard, le sergent a repris du service et mène son peloton de jeunes recrues du premier régiment de l’infanterie américaine, the Big Red One, en Afrique du Nord afin d’y affronter l’armée allemande sous le commandement de Rommel. Pendant plusieurs années, il partagera le quotidien de ses hommes, de l’invasion de la Sicile jusqu’à la libération des camps de concentration tchèques, en passant par le jour fatidique du débarquement en Normandie.

Capote au canon

Le ton de cette épopée de guerre, pas très éloignée dans son schéma narratif de celui de Forrest Gump de Robert Zemeckis en ce qu’elle fait passer en revue des événements historiques sans qu’ils aient une influence profonde sur les personnages, frôle à plusieurs reprises volontairement la vulgarité. Historiquement placé dans un drôle de no man’s land du genre, entre la moquerie de M.A.S.H. de Robert Altman au début de la décennie et son contemporain contestataire Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino, Au delà de la gloire reste avant tout fidèle à l’approche frontale de son réalisateur. Pas vraiment le temps pour faire des chichis ou se casser longtemps la tête sur le rôle théorique du fantassin prédestiné à fournir de chair à canons, lorsque les missions périlleuses se succèdent à un rythme soutenu. Le pragmatisme est roi dans un contexte, où les préservatifs mis à disposition en abondance par la hiérarchie militaire servent en premier lieu à protéger les fusils par mauvais temps ou à la limite à rendre un accouchement improvisé un peu moins douteux d’un point de vue hygiénique. Leurs frustrations sexuelles, ces hommes coupés du monde doivent les assouvir autrement, quitte à porter leurs armes de façon fort suggestive ou à faire fi d’une différence d’âge inhabituellement marquée avec leurs partenaires potentiels. Ce n’est pas tout à fait le même degré de débandade comique à l’œuvre dans la Palme d’Or cannoise de 1970 précitée, mais ces incongruités passagères, mettant par intermittences la virilité hétérocentrique de ces hommes en question, dénotent forcément lorsqu’on les compare au mythe des valeureux combattants moralement irréprochables, qui ont permis de gagner la guerre contre le régime nazi.

Noblesse grotesque

La figure la plus ambiguë à ce sujet reste sans doute le sergent, un meneur d’hommes issu de la vieille école, autoritaire et paternel à la fois, auquel Lee Marvin confère une aura majestueusement mystérieuse. Or, cet emploi de référence pour ses subordonnés, à qui il apparaît tour à tour comme un vétéran vénérable, un boucher sans états d’âme et même en réincarnation ironique de Lawrence d’Arabie, ne tarde pas à se briser au contact de défis en apparence insurmontables. Car au fond, il n’a guère plus de scrupules que son pendant allemand interprété par Siegfried Rauch, avec lequel il partage une mise en pratique docile des ordres, même si sa façon de faire se démarque par une humanité presque touchante. Ainsi, pendant que le sergent Schroeder massacre de sang froid une comtesse qui a osé ridiculiser le Führer alors que la guerre est d’ores et déjà perdue, le sergent américain préfère administrer une fessée à un jeune sniper, contrairement à la revendication aussi cruelle que lâche de la part de ses hommes de l’exécuter. Il ne serait pas trop farfelu d’envisager ce personnage comme le dernier bastion contre la barbarie, dont Samuel Fuller se fait astucieusement l’agent en apparaissant brièvement comme reporter de guerre, incitant les soldats las de la guerre et irrémédiablement marqués par elle à prendre la pose pour son relais de propagande, destiné au public des foyers américains. Cette perversion médiatique d’un conflit qui n’a strictement rien d’édifiant, Au delà de la gloire l’interroge brillamment et avec un sens aigu pour l’authenticité brute, comme seuls les survivants peuvent la transmettre sans sonner faux ou prétentieux.

Conclusion

Au delà de la gloire n’est pas un film formellement beau. Il dispose de cette qualité infiniment plus précieuse d’être un film fort et juste, qui fait par exemple monter en crescendo la figure de style souvent employée par Samuel Fuller du gros plan du visage, afin de rendre compte, succinctement mais avec fracas, du regard de l’horreur à lire dans les yeux des rescapés des camps d’extermination. De même, la notion de supériorité de l’armée américaine, à l’origine la raison d’être du genre outre-Atlantique, est savamment malmenée ici, ne serait-ce que lors du montage laborieux d’une arme sur Omaha Beach. Et puis, le récit est parsemé de morceaux de bravoure dont le réalisateur détient le secret, comme cette répétition du plan sur la montre d’un homme tombé lors du débarquement : au début perçu comme un simple indicateur du temps qui passe, il transmet surtout la cruauté du charnier, avec l’eau de mer qui se mêle de plus en plus au sang humain, jusqu’à rendre la relève de l’heure impossible.

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