Critique : Arc de Triomphe

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Arc de Triomphe

Etats-Unis, 1948
Titre original : Arch of Triumph
Réalisateur : Lewis Milestone
Scénario : Lewis Milestone et Harry Brown, d’après le roman de Erich Maria Remarque
Acteurs : Ingrid Bergman, Charles Boyer, Charles Laughton, Louis Calhern
Distribution : Metro-Goldwyn-Mayer
Durée : 1h50
Genre : Drame romantique
Date de sortie : 19 septembre 1948

Note : 2,5/5

Cette adaptation du roman de Erich Maria Remarque, qui a déjà dû sembler assez démodée lors de sa sortie après-guerre, a regagné une pertinence insoupçonnée en notre époque de flux migratoires inégalés. Malgré son décor artificiel, vrai uniquement en termes de reconstructions hollywoodiennes friandes de clichés sur Paris, elle sait par moments retranscrire ce que cela veut dire d’être un immigré clandestin dans un pays, préoccupé par des soucis plus pressants et égoïstes que l’accueil digne des hommes, des femmes et des enfants qui y cherchent refuge. Cet aspect de l’intrigue de Arc de Triomphe perd hélas progressivement en importance, au fur et à mesure que les tourments péniblement mélodramatiques du couple vedette prennent le dessus. Mais tant que la précarité de l’existence de ces amants maudits fait partie du cahier de charges du scénario, la mise en scène autrement peu inventive de Lewis Milestone réussit à lui conférer une certaine intensité.

Synopsis : Paris, 1938. Le médecin apatride Ravic aperçoit un soir pluvieux Haake, le tortionnaire nazi qui l’avait torturé avant qu’il ne puisse s’évader en France. Il cherche à le suivre, mais perd sa trace. Son chemin croise alors celui de Joan Madou, elle aussi immigrée et elle aussi en pleine détresse. Ravic essaye de lui remonter le moral en l’emmenant boire du calvados dans un bar. Puisque la jeune femme n’a nulle part où aller, le chirurgien sans papiers lui propose de l’accueillir dans sa chambre d’hôtel. Le lendemain matin, il apprend que Joan ne souhaite pas retourner à son propre hôtel parce que le cadavre de son dernier amant l’y attend. Afin de ne pas éveiller les suspicions de la police, Ravic l’incite à déclarer ce décès accidentel. Il va même jusqu’à lui trouver une nouvelle chambre et un travail comme chanteuse dans le club de son ami russe, le colonel Morosov.

Fausse femme fatale, vrai héros

A la fin des années 1940, Ingrid Bergman n’avait plus rien à prouver à Hollywood, dont elle était alors l’une des reines incontestables. Abonnées aux rôles édifiants, comme dans Les Cloches de Sainte-Marie de Leo McCarey ou Jeanne d’Arc de Victor Fleming, elle ne disposait que d’une marge de manœuvre réduite pour enrichir son jeu d’actrice et sa panoplie de personnages. Si la tentative de la rendre plus sulfureuse aux yeux du public américain de l’époque peut a priori paraître louable, elle tombe assez misérablement à plat dans ce drame romantique avec son personnage principal féminin peu crédible. Les motivations de Joan Madou sont en effet aussi nébuleuses que le fil narratif en général dans ce film, qui adore les contretemps, sans pour autant savoir approfondir son raisonnement grâce à eux. Pendant que le personnage secondaire du colonel Morosov débite sans relâche des répliques faussement sages, nous préférons donc l’héroïsme discret et légèrement misanthrope du docteur Ravic. A bien y regarder, nous assistons à une sorte de match retour entre Bergman et Charles Boyer, où l’acteur livre l’interprétation clairement plus maîtrisée, quatre ans après le tour de force de sa partenaire à l’écran dans Hantise de George Cukor. Enfin, tous les deux s’en sortent toujours mieux que le pauvre Charles Laughton, réduit à l’emploi nullement valorisant de l’ogre malfaisant, qui est évacué du film au bout de trois séquences aussi insignifiantes qu’espacées dans le temps.

Je t’aime à en mourir

Sous réserve des imperfections de la copie britannique, tronquée de dix minutes, que la Cinémathèque Française a déterrée pour sa grande rétrospective dédiée cet été à Ingrid Bergman, le récit de Arc de Triomphe ne s’arrange pas avec le temps. D’emblée dépourvu de la moindre verve visuelle ou formelle, comme le prouve péniblement le retour en arrière sur la captivité de Ravic au début du film, il a tendance à dérailler sérieusement au fur et à mesure que les amants s’engagent dans la spirale fatidique de l’amour-haine. La surcharge de problèmes censés saboter le couple mal assorti alourdit forcément le propos, jusqu’à ce que le spectateur ne prête plus aucune attention à la rengaine lassante de retrouvailles sans cesse repoussées. La faute de cette perte de vitesse irrémédiable revient autant au scénario alambiqué qu’à la mise en scène impersonnelle et de plus en plus fade de Milestone. Le suspense normalement primordial de savoir qui meurt, qui s’en sort et pourquoi, n’a par conséquent plus aucune importance dans le cours final d’une intrigue de moins en moins engageante.

Conclusion

Il n’y a rien d’étonnant à ce que Ingrid Bergman ait été si impressionnée par le réalisme du cinéma de Roberto Rossellini, qu’elle était prête à tout lâcher pour aller travailler avec lui en Italie dans un cadre cinématographique pas vraiment commercial. Face à des films aux traits aussi forcés que celui-ci, son exil lourd de conséquences se comprend aisément.

https://youtu.be/Fj-2gTuVSt4

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