Festival du court métrage 2015 : Apprivoiser le dragon

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Pour notre premier soir au Festival de Clermont-Ferrand, nous avons découvert quelques uns des films de la rétrospective sur la Chine, « Apprivoiser le dragon ». Parmi les dix films vus, des fictions, des documentaires et des animations… on déniche bien quelques pépites.

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« Apprivoiser le dragon » : une rétrospective sur la Chine

Les vingt-neuf courts métrages chinois montrés cette année au Festival de Clermont-Ferrand ne représentent qu’une infime partie de la production totale de courts métrages chaque année en Chine, qui s’élève à plus de 500. Ils n’en tracent pas moins un itinéraire dépaysant au cœur de la Chine contemporaine, telle qu’elle est vue, depuis dix ans, par une nouvelle génération de cinéastes. Jeffrey Chan, un producteur chinois, souligne qu’il n’existait avant « que des films de propagande produits par l’armée et le parti ». Lui appartient à cette nouvelle génération de cinéastes qui, depuis dix ans, défie la censure avec la fougue de la jeunesse : « Notre cinéma est comme un garçon de 10 ans : plein d’énergie, mais encore brouillon. » A travers six programmes de films, un nouveau paysage de la Chine s’esquisse, plus subversif et plus ambitieux qu’on aurait pu le croire.

Notre itinéraire chinois

Un fil rouge – rouge, couleur de sang et de la révolte, rouge, couleur festive en Chine, celle du mariage et des fêtes, rouge, couleur enfin de la Chine communiste – traverse les courts métrages de ces réalisateurs chinois dits de la « sixième génération », ceux qui, clandestinement, ont choisi le cinéma comme moyen d’expression. Outre l’omniprésence à l’écran de teintes et d’écritures rouges – inscription sur les vitrines dans « 10 moments », signes calligraphiés en rouge sur le corps du chanteur dans « Le Vieux Fou qui déplaçait des montagnes », le rouge de l’année du dragon… –, un même fil rouge guide chaque réalisateur à brosser, dans son court métrage, un portrait d’une certaine Chine d’aujourd’hui. La vie quotidienne, souvent laborieuse, de Chinois aujourd’hui. La Chine des campagnes et des petits villages avec ses écoles privées, ses rites, ses repas et sa musique traditionnels ; l’incompréhension de cette Chine-là face aux aspirations de la jeunesse : faire des études, se laisser pousser les cheveux, écouter de la musique occidentale… la Chine des villes enfin, avec ses usines, ses écoles, ses promesses de travail et d’argent. La Chine dans ses déboires politiques et ses catastrophes humaines… Des documentaires, des fictions, des animations foisonnent d’images saisissantes, plus ou moins stylisées, plus ou moins agréables à voir, plus ou moins travaillées. Parmi les dix films visualisés depuis notre arrivée au festival, certains ont déjà notre préférence.

10moments

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Le Banquet de la concubine

Le_banquet_de_la_concubineFrance, Canada, Suisse, 2012
Réalisateur : Hefang Wei
Durée : 13min
Genre : Fiction animée

 

 

 

 

 

Synopsis : Chine, an 746, dynastie Tang. À cette époque, le pays connaît sa période la plus prospère. L’empereur Li est un grand amateur de femmes, d’art et de musique. Il possède de nombreuses concubines. Sa préférée s’appelle Yang. Alors qu’un grand banquet se prépare en son honneur, l’empereur, pris dans une partie de Go, l’oublie. 

Court métrage d’animation, Le Banquet de la concubine est une réussite tant visuelle que narrative, qui puise dans la magie et la cruauté des contes chinois avec un dessin absolument ravissant. Il nous plonge dans la Chine ancestrale de la dynastie Tang, en 746, au cœur du palais d’un Empereur et de ses courtisanes. La concubine en l’honneur de qui est célébré le banquet, lassée d’attendre les litchis – ses fruits préférés – qu’est parti lui chercher un fidèle serviteur, apprend tout à coup que l’Empereur passe la soirée avec une autre. Sa rage se transforme en ivresse puis en jouissance de tous ses sens… le film, superposant métaphoriquement les images du litchi mûr, de la fleur épanouie et de la concubine désinhibée, explose en formes et en couleurs surréalistes qui expriment parfaitement l’état mental de la jeune femme. Rares sont les œuvres d’art visuel qui expriment si justement ce que peuvent être, au féminin, la jalousie, la rage, le plaisir.

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Les formes y sont dansantes et fluides, la courbe d’un bras se prolongeant à l’infini, les femmes se balançant comme des serpents, les fleurs s’épanouissant dans les cheveux en symbiose avec les émotions de la jeune femme, le tout avec un certain humour et drôlerie.

The Way Home

Chine, Autriche, Etats-Unis, 2013
Réalisateur : Ting Song
Durée : 16min
Genre : Fiction

Synopsis : Dans l’incapacité de s’occuper de son vieux père, Li Min l’enferme dans sa maison. Mais les problèmes de famille ne sont pas si faciles à cacher.

The Way Home est une approche délicate mais intime d’une famille chinoise commune, mais confrontée à un problème assez gênant : le grand-père, dont on se demande s’il n’a pas Alzheimer, s’évade chaque jour pour courir les rues, portant une jupe à fleur. Cela donne lieu à un huis clos touchant mais aussi drôle, puisque l’acteur qui joue le grand-père incarne aussi bien la joie enfantine de la fuite et de la course, que la tristesse que l’on peut éprouver lorsque l’on prend conscience de sa propre faiblesse. Le père, lui, est tiraillé entre l’amour de son propre père et l’amour de sa femme et de sa fille. C’est justement elle, la petite fille, qui entretient le plus haut degré de complicité avec son grand-père, ce qui fait de cette fable familiale une vision optimiste du lien et de l’entente entre les générations. La maison de village, le travail qu’effectue le père dans un garage, le lien de la mère et de sa fille sont les lieux (simples, quotidiens, même banals) de cette espèce de micro-drame familial, dont on pense qu’il pourrait aussi constituer un très bon long-métrage.

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Master Lee

Chine, 2014
Réalisateur : Jiangliu Fan
Durée : 20min
Genre : Fiction

Synopsis : Master Lee est un enseignant qui ouvrit une école traditionnelle privée il y a soixante ans dans un village de montagnes en Chine. Mais aujourd’hui, en raison d’importants changements dans la société chinoise contemporaine, son école est illégale.

Master Lee, réalisé en l’hommage du véritable Master Lee, a une valeur historique et mémorielle véritable puisqu’il touche au problème, en Chine, de la disparition d’une voie ancestrale de l’enseignement et même de l’éducation : l’école privée. Dans la salle de classe de l’école publique où le maire a convoqué le directeur de cette école, le maître Lee et d’autres acteurs de l’enseignement, le portrait de Mao trône, pesant, au-dessus du tableau. Une façon de dénoncer la conclusion à laquelle aboutit fatalement cette réunion, à savoir la nécessité de Master Lee de fermer son école privée, dont le destin des élèves ont pourtant montré le bienfait et l’excellence. Master Lee, qui incarnait pourtant une rigueur et une morale inflexibles – mais aussi des actes de générosité, tous visant à la perfection morale de ses élèves – doit pourtant rompre, comme le chêne, et laisser place à l’école publique. Les scènes montrant la petite classe d’élèves réunis chez leur maître laisse l’impression d’un « ça a été » qui ne reviendra plus.

Les autres films vus (par ordre de préférence…)

Yugong Yishan (Le Vieux Fou qui déplaçait des montagnes)

Chine, Philippines, Thaïlande, 2009
Réalisateur : Joanna Vasquez Arong
Durée : 30min
Genre : Documentaire

Synopsis: Yugong Yishan est le nom d’un petit bar tenu par Gouzi, un musicien chinois. Ce lieu est déjà voué à démolition pour faire place à des activités de nature plus commerciale. Gouzi cherche à permettre l’émergence d’une scène musicale indépendante à Pékin.

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Chine, Etats-Unis, 2011
Réalisateur : Wenhua Shi
Durée : 5min
Genre : Documentaire expérimental

Synopsis: Le film présente une juxtaposition d’instants calmes à Pékin et d’observations sur les tendances qui font vibrer la Chine urbaine actuelle, dessinant ainsi un précieux portrait artistique d’une époque mouvementée dans l’histoire de la Chine.

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Take Me to The Moon (Emmène-moi sur la lune)

Chine, Espagne, 2014
Réalisateur : Oriol Martinez et Enric Ribes
Durée : 15min
Genre : Documentaire

Synopsis: A l’usine textile Antex, on prépare les fêtes de Noël. Li Xueqin, une jeune femme récemment arrivée à l’usine, et les anciens de la famille Wang nous dévoilent la symphonie douce-amère de cette colonie.

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Horoscope

Chine, Etats-Unis, 2014
Réalisateur : Maya Eva Gunst Rudolph
Durée : 16min
Genre : Fiction

Synopsis : Xinxin et Xiao Lu prennent le bus pour se rendre à l’école tous les jours. Un jour, elles rencontrent un étrange garçon qui va changer leur trajet quotidien, mais pas seulement.

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What Happened in Past Dragon Year (Ce qui s’est passé dans l’année du Dragon)

Chine, 2014
Réalisateur : Sun Xun
Durée : 10min
Genre : Fiction animée

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Traces

Chine, 2014
Réalisateur : Wang Bing
Durée : 28min
Genre : Documentaire

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Chine, 2004
Réalisateur : Xiao-Xing Cheng
Durée : 18min
Genre : Documentaire expérimental

 

Conclusion

« Apprivoiser le dragon » multiplie les regards – critiques, admiratifs, inquiets, allégoriques… – sur une Chine contemporaine abordée dans tous ses aspects (sociaux, politiques, culturels…). La rétrospective témoigne, si ce n’est toujours de réussites absolues, du moins de l’émergence tenace d’un nouvel investissement dans l’art du cinéma en Chine et en particulier dans l’art du film court, qui permet sans doute une saisie plus vive et plus acérée du réel.

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